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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/491

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village de Baiad, qui est à l’orient du fleuve. Nous prîmes dans ce village des guides pour nous conduire au désert de Saint-Antoine. Nous sortîmes de Baiad le 26 mai, montés sur des chameaux et escortés de deux chameliers. Nous marchâmes au nord le long du Nil, l’espace d’une ou deux lieues, et ensuite nous tirâmes à l’est pour entrer dans le célèbre désert de Saint-Antoine, ou de la Basse-Thébaïde… Une plaine sablonneuse s’étend d’abord jusqu’à la gorge de Gebéi… Nous montâmes jusqu’au sommet du mont Gebéi. Nous découvrîmes alors une plaine d’une étendue prodigieuse… Son terrain est pierreux et stérile. Les pluies, qui y sont fréquentes en hiver, forment plusieurs torrents ; mais leur lit demeure sec pendant tout l’été… Dans toute la plaine, on ne voit que quelques acacias sauvages, qui portent autant d’épines que de feuilles. Leurs feuilles sont si maigres, qu’elles n’offrent qu’un médiocre secours à un voyageur qui cherche à se mettre à l’abri du soleil brûlant. » (Lettr. édif., tom. V, p. 191 et suiv.) Jusqu’ici, comme on le voit, je n’ai rien imaginé ; et le père Siccard, qui passa tant d’années en Égypte, ce missionnaire qui savoit le grec, le cophte, l’hébreu, le syriaque, l’arabe, le latin, le turc, etc., n’avoit peut-être rien lu sur l’Égypte, ni rien vu dans ce pays. J’ai substitué seulement le nopal à l’acacia, comme plus caractéristique des lieux. Me permettra-t-on de dire que j’ai rencontré le nopal aux environs du Caire, d’Alexandrie, et en général dans tous les déserts de ces contrées ? Cependant, si on ne veut pas qu’il y ait des nopals en Orient, malgré moi et malgré presque tous les voyageurs, je capitulerai sur ce point.

Il faut pourtant que j’apprenne à la critique une chose qu’elle ne sait peut-être pas, et le moyen de m’attaquer. À l’époque où je place des nopals en Orient, il y a anachronisme en histoire naturelle. Les cactus sont américains d’origine. Transportés ensuite en Afrique et en Asie, ils s’y sont tellement multipliés, que la chaîne de l’Atlas en est aujourd’hui remplie. Quelques botanistes doutent même si ces plantes ne sont point naturelles aux deux continents. Un seul végétal introduit dans une contrée suffit pour changer l’aspect d’un paysage. Le peuplier d’Italie, par exemple, a donné un autre caractère à nos vallées. J’ai peint et j’ai dû peindre ce que je voyois en Orient, sans égard à la chronologie de l’histoire naturelle.


42e. — page 158.

Des débris de vaisseaux pétrifiés.

« Sur le dos de la plaine, dit le père Siccard, on voit de distance en distance des mâts couchés par terre, avec des pièces de bois flotté qui paroissent venir du débris de quelque bâtiment ; mais, quand on y veut porter la main, tout ce qui paroissoit de bois se trouve être pierre. » (Lettr. édif., tom. V, p. 48.) Me voilà encore à l’abri. Il est vrai que le père Siccard raconte cette particularité du désert de Scété et de la mer sans eau, et moi je la place dans le désert de la Basse-Thébaïde, mais un autre voyageur dit avoir rencontré les mêmes pétrifications en allant du Caire à Suez : il diffère seulement d’opinion avec le missionnaire sur la nature de ces pétrification.