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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/585

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passage de Bossuet, rapporté plus haut : « Il y a une différence infinie entre reconnoître, comme les païens, un Dieu dont l’action ne puisse s’étendre à tout, ou qui ait besoin d’être soulagé par des subalternes, à la manière des rois de la terre, dont la puissance est bornée, et un Dieu qui, faisant tout et pouvant tout, honore ses créatures en les associant, quand il lui plaît, et à la manière qui lui plaît, à son action. »

Oui, Dieu associe de la manière qui lui plaît ses anges à son action. Comment cela ? Le voici :

Dieu a prononcé notre arrêt ; mais est-ce tout ? Tout est-il fini ? De quelle manière cet arrêt s’accomplira-t-il ? N’aurons-nous aucun délai ? Le coup partira-t-il avec la sentence ? Si Dieu est notre juge, n’est-il pas notre père ? Il appelle ses anges.

« Allez, leur dit-il, adoucissez mes décrets ; portez la consolation dans le cœur de ceux que je veux affliger pour leur bien ; secourez-les contre ma propre colère ; combattez l’enfer qui triomphera, parce que je le veux, mais qui ne fera pas tout le mal qu’il pourroit faire si vous ne vous opposiez à sa rage ; recueillez les larmes que je vais faire couler ; présentez-les à mon tabernacle. Je commets à vos soins l’empire de ma miséricorde, et je me réserve celui de ma justice. »

Qui rejettera cette doctrine ? Qui n’y trouvera une foule de beautés touchantes ? Les anges sont des amis invisibles, que Dieu nous a donnés pour nous protéger, pour nous consoler ici-bas. Un homme est condamné à perdre la tête sur l’échafaud ; il n’a plus qu’un instant à passer sur la terre : ses amis l’abandonnent-ils parce que le juge a prononcé ? Ils pénètrent dans les cachots, ils viennent s’associer aux douleurs d’un infortuné, et le soutenir dans ce moment d’épreuve : ces anges de la terre, comme les anges célestes, après lui avoir prodigué les derniers secours de l’amitié, lui promettent de se rejoindre à lui dans des régions plus heureuses.

Je passe à la grande accusation : « J’ai fait, disent les ennemis des Martyrs, un mélange profane des autorités païennes et des puissances divines honorées par les chrétiens ; j’ai confondu le merveilleux des deux religions, etc. »

Mon défenseur me fournira d’abord une partie de la réponse.

« À l’époque où M. de Chateaubriand place l’action qui fait le sujet de son livre, les chrétiens étoient entourés de païens, et vivoient au milieu d’eux. Quelquefois ils appartenoient à la même famille et habitoient sous le même toit. Liés par une origine commune, par le sang ou par l’amitié, il ne se passoit aucun jour qu’il ne fût question de la religion nouvelle, qui faisoit alors des progrès si rapides. Il seroit