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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/587

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jamais que de la part de ceux qui, étant païens, croient à leur pouvoir ; et loin qu’il y ait une confusion réelle, la distinction ne sauroit être mieux établie, et la supériorité plus marquée en faveur de la vraie religion. Je me refuse au plaisir de citer ; mais on peut à toutes les pages du livre vérifier ce que j’avance. Je ne pense pas au reste qu’il en soit besoin. La force de la vérité est telle que, sans le vouloir, ses ennemis lui rendent souvent hommage au moment même où ils ne songent qu’à l’outrager. S’il est un endroit des Martyrs qui puisse fournir un prétexte pour accuser M. de Chateaubriand de ce prétendu mélange, c’est sans doute le deuxième livre, dans lequel Cymodocée chante les dieux et les muses, tandis qu’Eudore célèbre la grandeur du Dieu d’Israel en présence de Cyrille[1] ; et cependant écoutons l’aveu involontairement échappé à un homme qui ne voit que confusion partout.

« L’auteur, dit-il, fait un tableau charmant d’une famille chrétienne. La situation est piquante par le contraste des deux religions. M. de Chateaubriand s’y montre avec tout son talent, c’est-à-dire qu’il en a beaucoup. »

« Or, ce contraste des deux religions, qui produit des situations piquantes, règne d’un bout de l’ouvrage à l’autre. Nulle part on ne les trouve mêlées et confondues. »

Ainsi parle mon défenseur.

Véritablement, l’objection tirée de la prétendue confusion des cultes dans Les Martyrs est si peu solide, qu’on s’étonne qu’elle ait jamais été faite : c’est vouloir que le ive siècle de notre ère ne soit pas le ive siècle. J’ai parlé comme l’histoire, et jamais poëte n’observera plus strictement la vérité des mœurs. Ceux qui ne peuvent lire les originaux peuvent du moins consulter Crevier : ils y verront à chaque page les chrétiens et les païens figurer ensemble. Ici se forme un concile, là se réunit une assemblée des prêtres de Cybèle ; plus loin les chrétiens célèbrent la Pâque et les païens courent aux temples de Flore et de Vénus ; l’autel de la Victoire est au Capitole, celui du Dieu des armées dans les Catacombes ; un édit de Dioclétien porte le sceau des divinités de l’empire, la lettre apostolique d’un évêque est souscrite du signe sacré de la croix. Ce mélange se retrouve jusque dans les Actes des Martyrs : le bourreau interroge au nom de Jupiter, et la victime répond au nom de Jésus-Christ. On a dit qu’il falloit ignorer les premiers éléments de l’histoire, ou bien être de la plus insigne mauvaise foi, pour

  1. Il est à propos de remarquer qu’en cette circonstance Cyrille ne manque pas de blâmer le sujet des chants de Cymodocée.