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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/592

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placer l’exposition de l’action, le motif du récit, l’élection des personnages vertueux, comme on voit dans l’Enfer le choix des personnages criminels : c’étoit sous ces rapports qu’il falloit juger ces discours ; c’étoit ainsi que l’avoient fait les hommes de goût que j’avois pris soin de consulter. Ils avoient examiné la machine du poëte, ils n’avoient pas demandé une éloquence qu’on ne pourra jamais rendre digne de Dieu. Quoi qu’il en soit, j’ai retranché ces discours. Si j’avois, comme le Tasse, mis le mouvement, le temps, l’espace aux pieds de l’Éternel ; si j’avois, comme le Dante, imaginé un grand cône renversé, où les damnés et les démons sont retenus dans des cercles de douleur, on n’auroit point eu assez de risées pour mes folles imaginations, assez d’insulte pour mon défaut de goût et de convenance : ce que l’on eût trouvé dans Les Martyrs trivial, extravagant, impie, on le trouve excellent dans l’Enfer du poëte florentin et peut-être dans le Saint Louis du père Lemoine.

Je touche à une accusation à laquelle je n’ai rien à répondre. Il est certain qu’en faisant la peinture du Purgatoire j’étois tombé dans de graves erreurs ; une entre autres sembloit rappeler un peu celle qui fit le succès du Bélisaire. J’avouerai à ma honte que j’ai peu lu le Bélisaire ; je m’en souviens à peine, et très-certainement je ne l’ai pas imité. Le duelliste, le prêtre foible, les sages selon la terre, ne pouvoient entrer dans un lieu d’expiation chrétienne. Tout cela est effacé. J’ai porté un œil sévère sur le reste de l’ouvrage, et, ne me fiant plus à mes lumières, j’ai soumis mon nouveau travail à de pieux et savants ecclésiastiques : il ne reste pas désormais dans Les Martyrs le moindre mot dont la foi puisse s’alarmer.

Je viens à l’épisode de Velléda.

Il semble que dans la querelle excitée au sujet des Martyrs tout dût avoir un côté dégoûtant et risible. Si les personnes qui se formalisent de l’épisode de Velléda étoient non des prêtres austères, non de rigides solitaires de Port-Royal, mais des auteurs connus par des ouvrages d’une morale peu sévère, que faudroit-il penser de leur bonne foi ?

Depuis l’apparition des Martyrs, on a rappelé plusieurs fois dans les journaux la brochure que Faydit publia jadis contre le Télémaque[1], et dont j’avois cité des fragments dans la Défense du Génie du Christianisme ; je vais rassembler ici les jugements singuliers de Faydit sur l’épisode de Calypso et sur le Télémaque en général. Les lecteurs y verront une conformité incroyable entre les reproches que l’on me

  1. À la honte de la France, cette brochure a eu trois éditions.