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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/600

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tulation sommaire, et une application qu’il fait à l’épopée des règles qu’il a données à la tragédie. » (Poétiq. d’Arist., p. 371.)

Ce point établi, nous trouvons qu’Aristote dit :

« Il arrive fort souvent que dans les tragédies on se contente d’un ou de deux noms connus, et que tous les autres sont inventés. Il y a même des pièces où pas un mot n’est connu, comme dans la tragédie d’Agathon, qu’il a appelée La Fleur ; car dans cette pièce tous les noms sont feints comme les choses, et elle ne laisse pas de plaire.

« C’est pourquoi il n’est pas nécessaire de s’attacher scrupuleusement à suivre toujours les fables reçues d’où l’on tire ordinairement les sujets de tragédie. Cela seroit ridicule ; car ce qui est connu l’est ordinairement de peu de personnes, et cependant il divertit tout le monde également.

« Il est donc évident par là que le poëte doit être l’auteur de son sujet, encore plus que de ses vers. » (Poétiq. d’Arist., chap. ix, p. 126 et 127.)

En examinant ce passage, où brille l’excellent jugement d’Aristote, le savant traducteur observe « qu’Horace étoit du même sentiment, mais qu’il s’est cru obligé d’avertir les Romains que ces sujets entièrement inventés étoient plus difficiles à traiter que les autres, et de leur conseiller de s’attacher plutôt à des sujets connus :

Difficile est proprie communia dicere, tuque
Rectius Iliacum carmen deducis in actus
Quam si proferres ignota indictaque primus.
 »

Ainsi, d’après le premier législateur du Parnasse, j’ai pu inventer mon sujet et mes personnages, et d’après le second cela m’a jeté seulement dans une route plus difficile. Aristote cite Agathon, qui réussit en inventant ses héros ; et parmi nous on peut s’autoriser de l’exemple de Voltaire dans Zaïre, Alzire et Tancrède, et même de celui de Racine dans Bajazet.

Appliquons cette règle à l’épopée, et attachons-nous à ces mots remarquables du Stagyrite : « Ce qui est connu l’est ordinairement de peu de personnes, et cependant il divertit tout le monde également. »

En effet, tous ces grands personnages de l’épopée que nous regardons aujourd’hui comme historiques le sont-ils bien réellement ? Seroient-ils connus, comme Alexandre et César s’ils n’avoient été chantés par les poëtes ? Prenons le premier de tous, Achille : je doute fort que sans Homère son nom fût venu jusqu’à nous. Allons plus loin : connoissions-nous beaucoup Télémaque avant que Fénelon nous eût donné son épopée ? Cependant Télémaque, nommé deux fois dans