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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/75

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LIVRE IV.

qu’il a transportée depuis dans les Gaules. Il avoit étudié dans son enfance sous le fils du plus célèbre disciple de Quintilien ; et tout ce qu’il y avoit de jeunes gens illustres fréquentoit alors son école. Je suivis les leçons de ce maître habile, et je ne tardai pas à former des liaisons avec les compagnons de mes études. Trois d’entre eux surtout s’attachèrent à moi par une agréable et sincère amitié : Augustin, Jérôme et le prince Constantin 37, fils du césar Constance.

« Jérôme, issu d’une noble famille pannonienne, annonça de bonne heure les plus beaux talents, mais les passions les plus vives. Son imagination impétueuse ne lui laissait pas un moment de repos. Il passoit des excès de l’étude à ceux des plaisirs avec une facilité inconcevable. Irascible, inquiet, pardonnant difficilement une offense, d’un génie barbare ou sublime, il semble destiné à devenir l’exemple des plus grands désordres ou le modèle des plus austères vertus : il faut à cette âme ardente Rome ou le désert.

« Un hameau du proconsulat de Carthage fut le berceau de mon second ami. Augustin est le plus aimable des hommes. Son caractère, aussi passionné que celui de Jérôme, a toutefois une douceur charmante, parce qu’il est tempéré par un penchant naturel à la contemplation : on pourroit cependant reprocher au jeune Augustin l’abus de l’esprit ; l’extrême tendresse de son âme le jette aussi quelquefois dans l’exaltation. Une foule de mots heureux, de sentiments profonds, revêtus d’images brillantes, lui échappent sans cesse. Né sous le soleil africain, il a trouvé dans les femmes, ainsi que Jérôme, l’écueil de ses vertus et la source de ses erreurs. Sensible jusqu’à l’excès au charme de l’éloquence, il n’attend peut-être qu’un orateur inspiré pour s’attacher à la vraie religion : si jamais Augustin entre dans le sein de l’Église, ce sera le Platon des chrétiens.

« Constantin, fils d’un césar illustre, annonce lui-même toutes les qualités d’un grand homme. Avec la force de l’âme, il a ces beaux dehors si utiles aux princes, et qui rehaussent l’éclat des belles actions. Hélène, sa mère, eut le bonheur de naître sous la loi de Jésus-Christ ; et Constantin, à l’exemple de son père, montre un penchant secret vers cette loi divine. À travers une extrême douceur, on voit percer chez lui un caractère héroïque et je ne sais quoi de merveilleux que le ciel imprime aux hommes destinés à changer la face du monde. Heureux s’il ne se laisse pas emporter à ces éclats de colère 38 si terribles dans les caractères habituellement modérés ! Ah ! combien les princes sont à plaindre d’être si promptement obéis ! Combien il faut avoir pour eux d’indulgence ! Songeons toujours que nous voyons l’effet de leurs premiers mouvements, et que Dieu, pour leur appren-