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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/77

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LIVRE IV.

le dernier des soldats ; tantôt c’est un homme timide, qui tremble devant ce même Galérius, qui flotte irrésolu entre mille projets, qui s’abandonne aux superstitions les plus déplorables, et qui ne se soustrait aux frayeurs du tombeau qu’en se faisant donner les titres impies de Dieu et d’Éternité. Réglé dans ses mœurs, patient dans ses entreprises, sans plaisirs et sans illusions, ne croyant point aux vertus, n’attendant rien de la reconnoissance, on verra peut-être ce chef de l’empire se dépouiller un jour de la pourpre, par mépris pour les hommes, et afin d’apprendre à la terre qu’il étoit aussi facile à Dioclétien de descendre du trône que d’y monter.

« Soit foiblesse, soit nécessité, soit calcul, Dioclétien a voulu partager sa puissance avec Maximien, Constance et Galérius. Par une politique dont il se repentira peut-être, il a pris soin que ces princes fussent inférieurs à lui et qu’ils servissent seulement à rehausser son mérite. Constance seul lui donnoit quelque ombrage, à cause de ses vertus. Il l’a relégué loin de la cour au fond des Gaules, et il a garde près de lui Galérius. Je ne vous parlerai point de Maximien-Auguste, guerrier assez brave, mais prince ignorant et grossier, qui n’a aucune influence à la cour. Je passe à Galérius.

« Né dans les huttes des Daces, ce gardeur de troupeaux a nourri dès sa jeunesse, sous la ceinture du chevrier, une ambition effrénée. Tel est le malheur d’un État où les lois n’ont point fixé la succession au pouvoir : tous les cœurs sont enflés des plus vastes désirs ; il n’est personne qui ne puisse prétendre à l’empire ; et comme l’ambition ne suppose pas toujours le talent, pour un homme de génie qui s’élève, vous avez vingt tyrans médiocres qui fatiguent le monde.

« Galérius semble porter sur son front la marque ou plutôt la flétrissure de ses vices : c’est une espèce de géant, dont la voix est effrayante et le regard horrible. Les pâles descendants des Romains croient se venger des frayeurs que leur inspire ce césar, en lui donnant le surnom d’Armentarius 40. Comme un homme qui fut affamé la moitié de sa vie, Galérius passe les jours à table et prolonge dans les ténèbres de la nuit de basses et crapuleuses orgies. Au milieu de ces saturnales de la grandeur, il fait tous ses efforts pour déguiser sa première nudité sous l’effronterie de son luxe ; mais plus il s’enveloppe dans les replis de la robe de César, plus on aperçoit le savon du berger.

Outre la soif insatiable du pouvoir et l’esprit de cruauté et de violence, Galérius apporte encore à la cour une autre disposition bien propre à troubler l’empire : c’est une fureur aveugle contre les chrétiens 41. La mère de ce César, paysanne grossière et superstitieuse,