Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 5.djvu/140

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

homme : Epaminondas éleva les murs de Messène. Malheureusement on peut reprocher à cette ville la mort de Philopoemen. Les Arcadiens tirèrent vengeance de cette mort, et transportèrent les cendres de leur compatriote à Mégalopolis. Je passais avec ma petite caravane précisément par les chemins où le convoi funèbre du dernier des Grecs avait passé, il y a environ deux mille ans.

Après avoir longé le mont Ithome nous traversâmes un ruisseau qui coule au nord, et qui pourrait bien être une des sources du Balyra. Je n’ai jamais défié les Muses, elles ne m’ont point rendu aveugle comme Thamyris ; et si j’ai une lyre, je ne l’ai point jetée dans le Balyra, au risque d’être changé après ma mort en rossignol. Je veux encore suivre le culte des neuf Sœurs pendant quelques années, après quoi j’abandonnerai leurs autels. La couronne de roses d’Anacréon ne me tente point : la plus belle couronne d’un vieillard, ce sont ses cheveux blancs et les souvenirs d’une vie honorable.

Andanies devait être plus bas, sur le cours du Balyra. J’aurais aimé à découvrir au moins l’emplacement des palais de Mérope.

J’entends des cris plaintifs. Hélas ! dans ces palais
Un dieu persécuteur habite pour jamais.

Mais Andanies était trop loin de notre route pour essayer d’en trouver les ruines. Une plaine inégale, couverte de grandes herbes et de troupeaux de chevaux comme les savanes de la Floride, me conduisit vers le fond du bassin où se réunissent les hautes montagnes de l’Arcadie et de la Laconie. Le Lycée était devant nous, cependant un peu sur notre gauche, et nous foulions probablement le sol de Stényclare. Je n’y entendais point Tyrtée chanter à la tête des bataillons de Sparte, mais, à son défaut, je fis en cet endroit la rencontre d’un Turc monté sur un bon cheval et accompagné de deux Grecs à pied. Aussitôt qu’il m’eut reconnu à mon habit franc il piqua vers moi, et me cria en français : " C’est un beau pays pour voyager que la Morée ! En France, de Paris à Marseille, je trouvais des lits et des auberges partout. Je suis très fatigué ; je viens de Coron par terre, et je vais à Léondari. Où allez-vous ? " Je répondis que j’allais à Tripolizza. " Eh bien ! dit le Turc, nous irons ensemble jusqu’au kan des Portes ; mais je suis très fatigué, mon cher seigneur. " Ce Turc courtois était