Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 5.djvu/199

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anciens voyageurs n’ont pas bien connu la forme du Pnyx. Lord Elgin a fait depuis peu d’années désencombrer cette colline, et c’est à lui qu’on doit la découverte des degrés. Comme on n’est pas là tout à fait à la cime du rocher, on n’aperçoit la mer qu’en montant au-dessus de la tribune : on ôtait ainsi au peuple la vue du Pirée, afin que des orateurs factieux ne le jetassent pas dans des entreprises téméraires, à l’aspect de sa puissance et de ses vaisseaux 42.

Les Athéniens étaient rangés sur l’esplanade entre le mur circulaire que j’ai indiqué au nord et la tribune au midi.

C’était donc à cette tribune que Périclès, Alcibiade et Démosthène firent entendre leur voix ; que Socrate et Phocion parlèrent au peuple le plus léger et le plus spirituel de la terre ! C’était donc là que se sont commises tant d’injustices, que tant de décrets iniques ou cruels ont été prononcés ! Ce fut peut-être ce lieu qui vit bannir Aristide, triompher Mélitus, condamner à mort la population entière d’une ville, vouer un peuple entier à l’esclavage ? Mais aussi ce fut là que de grands citoyens firent éclater leurs généreux accents contre les tyrans de leur patrie, que la justice triompha, que la vérité fut écoutée. " Il y a un peuple, disaient les députés de Corinthe aux Spartiates, un peuple qui ne respire que les nouveautés ; prompt à concevoir, prompt à exécuter, son audace passe sa force. Dans les périls où souvent il se jette sans réflexion, il ne perd jamais l’espérance ; naturellement inquiet, il cherche à s’agrandir au dehors ; vainqueur, il s’avance et suit sa victoire ; vaincu, il n’est point découragé. Pour les Athéniens, la vie n’est pas une propriété qui leur appartienne, tant ils la sacrifient aisément à leur pays ! Ils croient qu’on les a privés d’un bien légitime toutes les fois qu’ils n’obtiennent pas l’objet de leurs désirs. Ils remplacent un dessein trompé par une nouvelle espérance, Leurs projets à peine conçus sont déjà exécutés. Sans cesse occupés de l’avenir, le présent leur échappe : peuple qui ne connaît point le repos, et ne peut le souffrir dans les autres 43. "

Et ce peuple, qu’est-il devenu ? Où le trouverai-je ? Moi qui traduisais ce passage au milieu des ruines d’Athènes, je voyais les minarets des musulmans et j’entendais parler des chrétiens. C’est à Jérusalem que j’allais chercher la réponse à cette question, et je connaissais déjà d’avance les paroles de l’oracle : Dominus mortificat et vivificat ; deducit ad inferos et reducit.

Le jour n’était pas encore à sa fin : nous passâmes du Pnyx à la