Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 5.djvu/200

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colline du Musée. On sait que cette colline est couronnée par le monument de Philopappus, monument et un mauvais goût : mais c’est le mort et non le tombeau qui mérite ici l’attention du voyageur. Cet obscur Philopappus, dont le sépulcre se voit de si loin, vivait sous Trajan. Pausanias ne daigne pas le nommer, et l’appelle un Syrien. On voit dans l’inscription de sa statue qu’il était de Besâ, bourgade de l’Attique. Eh bien, ce Philopappus s’appelait Antiochus Philopappus ; c’était le légitime héritier de la couronne de Syrie ! Pompée avait transporté à Athènes les descendants du roi Antiochus, et ils y étaient devenus de simples citoyens. Je ne sais si les Athéniens, comblés des bienfaits d’Antiochus, compatirent aux maux de sa famille détrônée, mais il paraît que ce Philopappus fut au moins consul désigné. La fortune, en le faisant citoyen d’Athènes et consul de Rome à une époque où ces deux titres n’étaient plus rien, semblait vouloir se jouer encore de ce monarque déshérité, le consoler d’un songe par un songe, et montrer sur une seule tête qu’elle se rit également de la majesté des peuples et de celle des rois.

Le monument de Philopappus nous servit comme d’observatoire pour contempler d’autres vanités. M. Fauvel m’indiqua les divers endroits par où passaient les murs de l’ancienne ville ; il me fit voir les ruines du théâtre de Bacchus, au pied de la citadelle ; le lit desséché de l’Ilissus, la mer sans vaisseaux, et les ports déserts de Phalère, de Munychie et du Pirée.

Nous rentrâmes ensuite dans Athènes : il était nuit. Le consul envoya prévenir le commandant de la citadelle que nous y monterions le lendemain avant le lever du soleil. Je souhaitai le bonsoir à mon hôte, et je me retirai à mon appartement. Accablé de fatigue, il y avait déjà quelque temps que je dormais d’un profond sommeil, quand je fus réveillé tout à coup par le tambourin et la musette turque dont les sons discordants partaient des combles des Propylées. En même temps un prêtre turc se mit à chanter en arabe l’heure passée à des chrétiens de la ville de Minerve. Je ne saurais peindre ce que j’éprouvai : cet iman n’avait pas besoin de me marquer ainsi la fuite des années ; sa voix seule dans ces lieux annonçait assez que les siècles s’étaient écoulés.

Cette mobilité des choses humaines est d’autant plus frappante qu’elle contraste avec l’immobilité du reste de la nature. Comme pour insulter à l’instabilité des sociétés humaines, les animaux mêmes n’éprouvent ni bouleversements dans leurs empires ni altération dans leurs mœurs. J’avais vu, lorsque nous étions sur la colline du Musée, des cigognes se former en bataillon et prendre leur vol vers