mort de son oncle et de son père, le projet de rejeter la guerre en Afrique, projet que lui seul avait conçu contre l’opinion du grand Fabius ; enfin, cette faveur que les hommes accordent aux entreprises hardies, à la gloire, à la beauté, à la jeunesse, faisaient de Scipion l’objet de tous les veux comme de toutes les espérances.
Le jour du départ ne tarda pas d’arriver. Au lever de l’aurore, Scipion parut sur la poupe de la galère de Lélius, à la vue de la flotte et de la multitude qui couvrait les hauteurs du rivage. Un héraut leva son sceptre et fit faire silence :
- " Dieux et déesses de la terre, s’écria Scipion, et vous, divinités de la mer, accordez une heureuse issue à mon entreprise ! que mes desseins tournent à ma gloire et à celle du peuple romain ! Que, pleins de joie, nous retournions un jour dans nos foyers chargés des dépouilles de l’ennemi, et que Carthage éprouve les malheurs dont elle avait menacé ma patrie ! "
Cela dit, on égorge une victime ; Scipion en jette les entrailles fumantes dans la mer : les voiles se déploient au son de la trompette ; un vent favorable emporte la flotte entière loin des rivages de la Sicile.
Le lendemain du départ, on découvrit la terre d’Afrique et le promontoire de Mercure : la nuit survint, et la flotte fut obligée de jeter l’ancre. Au retour du soleil, Scipion apercevant la côte demanda le nom du promontoire le plus voisin des vaisseaux. " C’est le cap Beau, " répondit le pilote. A ce nom d’heureux augure, le général, saluant la fortune de Rome, ordonna de tourner la proue de sa galère vers l’endroit désigné par les dieux.
Le débarquement s’accomplit sans obstacles ; la consternation se répandit dans les villes et dans les campagnes ; les chemins étaient couverts d’hommes, de femmes et d’enfants qui fuyaient avec leurs troupeaux : on eût cru voir une de ces grandes migrations des peuples, quand des nations entières, par la colère ou par la volonté du ciel, abandonnent les tombeaux de leurs aïeux. L’épouvante saisit Carthage : on crie aux armes, on ferme les portes ; on place des soldats sur les murs, comme si les Romains étaient déjà prêts à donner l’assaut.
Cependant Scipion avait envoyé sa flotte vers Utique ; il marchait lui-même par terre à cette ville dans le dessein de l’assiéger : Massinissa vint le rejoindre avec deux mille chevaux.
Ce roi numide, d’abord allié des Carthaginois, avait fait la guerre aux Romains en Espagne ; par une suite d’aventures extraordinaires, ayant perdu et recouvré plusieurs fois son royaume, il se trouvait fugitif quand Scipion débarqua en Afrique. Syphax, prince des Gétules,