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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 7.djvu/188

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la presse au ministère, vous lui donnez le moyen de faire pencher de son côté tout le poids de l’opinion publique et de se servir de cette opinion contre les chambres : la constitution est en péril.

CHAPITRE XIX.
CONTINUATION DU MÊME SUJET.

Qu’arrive-t-il lorsque les journaux sont, par le moyen de la censure, entre les mains du ministère ? Les ministres font admirer dans les gazettes qui leur appartiennent tout ce qu’ils ont dit, tout ce qu’a fait, tout ce qu’a dit leur parti intra muros et extra. Si dans les journaux dont ils ne disposent pas entièrement ils ne peuvent obtenir les mêmes résultats, du moins ils peuvent forcer les rédacteurs à se taire.

J’ai vu des journaux non ministériels suspendus pour avoir loué telle ou telle opinion.

J’ai vu des discours de la chambre des députés mutilés par la censure sur l’épreuve de ces journaux.

J’ai vu apporter les défenses spéciales de parler de tel événement, de tel écrit qui pouvoit influer sur l’opinion publique d’une manière désagréable aux ministres[1].

J’ai vu destituer un censeur qui avoit souffert onze années de détention comme royaliste, pour avoir laissé passer un article en faveur des royalistes.

Enfin, comme on a senti que des ordres de la police envoyés par

  1. Cet ouvrage offrira sans doute un nouvel exemple de ces sortes d’abus. On défendra aux journaux de l’annoncer, ou on le fera déchirer par les journaux. Si quelques-uns d’entre eux osoient en parler avec indépendance, ils seroient arrêtés à la poste, selon l'usage. Je vais voir revenir pour moi le bon temps des Fouché : n’a-t-on pas publié contre moi, sous la police royale, des libelles que le duc de Rovigo avoit supprimés comme trop infâmes ? Je n’ai point réclamé, parce que je suis partisan sincère de la liberté de la presse, et que dans mes principes je ne puis le faire tant qu’il n’y a pas de loi. Au reste, je suis accoutumé aux injures, et fort au-dessus de toutes celles qu’on pourra m’adresser. Il ne s’agit pas de moi ici, mais du fond de mon ouvrage ; et c’est par cette raison que je préviens les provinces, afin qu’elles ne se laissent pas abuser. J’attaque un parti puissant, et les journaux sont exclusivement entre les mains de ce parti : la politique et la littérature continuent de se faire à la police. Je puis donc m’attendre à tout ; mais je puis donc demander aussi qu’on me lise, et qu’on ne me juge pas en dernier ressort sur le rapport de journaux qui ne sont pas libres.