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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 7.djvu/196

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paroîtroit blesser la justice ou l’honneur. Ne croyez pas gagner quelque chose en engageant dans vos systèmes ses chefs et ses orateurs, elle les abandonneroit : la majorité ne changeroit pas, parce que son opposition est une opposition de conscience, et non une affaire de parti. Mais prenez cette chambre par la loyauté, parlez-lui de Dieu, du roi, de la France ; au lieu de la calomnier, montrez-lui de la considération et de l’estime, vous lui ferez faire des miracles. Le comble de la maladresse seroit de prétendre la mener où vous désirez en lui débitant des maximes qu’elle repousse.

Pensez-vous qu’il soit nécessaire de lui faire adopter quelque mesure dans le sens de ce que vous appelez les intérêts révolutionnaires, gardez-vous de lui faire l’apologie de ces intérêts : dites qu’une fatale nécessité vous presse ; que le salut de la patrie exige ces nouveaux sacrifices ; que vous en gémissez ; que cela vous paroît affreux ; que cela finira. Si la chambre vous croit sincère dans votre langage, vous réussirez peut-être. Si vous allez, au contraire, lui déclarer que rien n’est plus juste que ce que vous lui proposez, qu’on ne sauroit trop donner de gages à la révolution, vous remporterez votre loi.

Un ministre anglois est plus heureux, sa tâche est moins difficile : chacun va droit au fait à Londres, pour son intérêt, pour son parti. En France, les places données ou promises ne sont pas tout. L’opposition ne se compose pas des mêmes éléments[1]. Une politesse vous gagnera ce qu’une place ne vous obtiendroit pas ; une louange vous acquerra ce que vous n’achèteriez pas par la fortune. Sachez encore et converser et vivre : la force d’un ministre françois n’est pas seulement dans son cabinet : elle est aussi dans son salon.

CHAPITRE XXIX.
QUEL HOMME NE PEUT JAMAIS ÊTRE MINISTRE SOUS LA MONARCHIE CONSTITUTIONNELLE.

Partout où il y a une tribune publique, quiconque peut être exposé à des reproches d’une certaine nature ne peut être placé à la tête du gouvernement. Il y a tel discours, tel mot, qui obligeroit un pareil ministre à donner sa démission en sortant de la chambre. C’est cette impossibilité résultant du principe libre des gouvernements représentatifs que l’on ne sentit pas lorsque toutes les illusions se réunirent,

  1. Réflexions politiques.