vages présents à ce spectacle, bien qu’ils eussent déposé leurs armes, selon les ordres, se précipitent sur les soldats ; une rude mêlée s’engage, les Indiens sont repoussés. Adario est plongé dans les cachots du fort ; sa fille seule est avec lui, sa fille qui ne nourrit plus l’enfant ravi à son sein : par la main paternelle ! La vieille épouse d’Adario, frappée d’un glaive inconnu au milieu de l’émeute, était allée rejoindre dans la tombe son fils et son petit-fils.
Tout était possible désormais à l’ambition et aux crimes d’Ondouré ; l’indignation des Natchez ne connaissait plus de bornes ; il les pouvait faire entrer dans tous les desseins par lesquels il avait promis de les venger. Il ne s’agissait plus que de calmer une tempête trop violemment excitée, et dont Ondouré n’était pas encore prêt à recueillir les ravages. Il fallait atteindre René, échappé aux premiers complots ; il fallait parvenir, au milieu du massacre des Français, à immoler le frère d’Amélie, à ravir Céluta et à monter enfin au rang suprême, en rétablissant l’ancien pouvoir des Soleils : telles étaient les noires pensées que le chef indien roulait dans son âme.
Le frère d’Amélie avait à peine perdu de vue le pays des Natchez, que se contentant de gouverner la pirogue avec un aviron placé en arrière, il s’était abandonné au cours des flots. La beauté des rivages, le premier éclat du printemps dans les forêts ne faisaient point diversion à sa tristesse.
Il traça quelques lignes au crayon sur des tablettes :
« Me voici seul. Nature qui m’environnez, mon cœur vous idolâtrait autrefois : serais-je devenu insensible à vos charmes ? Le malheur m’a touché ; sa main m’a flétri.
Qu’ai-je gagné en venant sur ces bords ? Insensé ! ne te devais-tu pas apercevoir que ton cœur ferait ton tourment, quels que fussent les lieux habités par toi ?
Rêveries de ma jeunesse, pourquoi renaissez-vous dans mon souvenir ? Toi seule, ô mon Amélie ! tu as pris le parti que tu devais prendre ! Du moins, si tu pleures, c’est dans les abris du port : je gémis sur les vagues, au milieu de la tempête. »
En approchant de la Nouvelle-Orléans, René vit une croix plantée par des missionnaires sur de hautes collines, dans l’endroit où l’on avait trouvé le corps d’un homme assassiné. Il aborde au rivage, attache sa pirogue sous un peuplier et accomplit un pèlerinage à la croix : il ne devait point être exaucé, car il allait demander, non le pardon de ses fautes, mais la rémission de ces souffrances que Dieu impose à tous les hommes. Arrivé au pied du calvaire, il s’y prosterne :
« Ô toi qui as voulu laisser sur la terre l’instrument de ton supplice comme un monument de ta charité et de l’iniquité du méchant ! divin voyageur ici-bas, donne-moi la force nécessaire pour continuer ma route. J’ai à traverser encore des pays brûlés par le soleil ; j’ai faim de ta manne, ô Seigneur ! car les hommes ne m’ont vendu qu’un pain amer. Rappelle-moi vite à la patrie céleste : je n’ai pas ta résignation pour boire la lie du calice ; mes os sont fatigués, mes pieds sont usés à force de marcher : aucun hôte n’a voulu recevoir l’étranger, les portes ont été fermées contre moi. »
René dépose au pied de la croix une branche de chêne en ex-voto. Il descend les collines, rentre dans sa pirogue, et bientôt découvre la capitale de la Louisiane. Il passe au milieu des vaisseaux à l’ancre ou amarrés le long des quais. Comme il traversait un labyrinthe de câbles, il fut hélé du bord d’une frégate à laquelle était dévolue la police du port. On lui cria en français avec un porte-voix : « De quelle nation indienne êtes-vous ? » Il répondit : « Natchez. » On ordonne au frère d’Amélie d’aborder la frégate.
Le capitaine, étonné de rencontrer un Français sous l’habit d’un Indien, lui demanda ses passeports : René n’en avait point. Questionné sur l’objet de son voyage, il déclara ne pouvoir s’en ouvrir qu’au gouverneur. Sa pirogue étant visitée, on y découvrit les tablettes dont les pages crayonnées parurent inintelligibles et suspectes. René fut consigné à bord de la frégate et un officier expédié à terre : celui-ci était chargé d’apprendre au gouverneur qu’on avait arrêté un Français déguisé en sauvage ; que les réponses de cet homme était embarrassées et ses manières extraordinaires. Le capitaine ajoutait, dans sa lettre, que l’étranger refusait de dire son nom, et qu’il demandait à parler au gouverneur ; l’officier portait aussi les tablettes trouvées dans la pirogue.
L’alarme était vive à la Nouvelle-Orléans : depuis le combat livré aux Natchez, et dans lequel ces sauvages avaient montré tant d’habileté et de valeur, on n’avait cessé d’être inquiet. Le commandant du fort Rosalie faisait incessamment partir des courriers chargés de rapports formidables sur l’indocilité des Indiens. Les divers chefs se trouvaient nommés dans ses dépêches : c’étaient ceux que Fébriano, à l’instigation d’Ondouré, prenait soin de dénoncer au crédule Chépar. Adario, Chactas même, et René surtout, étaient représentés comme les auteurs d’une conspiration permanente, comme des hommes qui, voulant la rupture des traités et la continuation de la guerre, s’opposaient à l’établissement des concessionnaires. Un dernier messager annonçait la capture d’Adario, et faisait