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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Je n’étais pas tout à fait étranger à Dol ; mon père en était chanoine, comme descendant et représentant de la maison de Guillaume de Chateaubriand, sire de Beaufort, fondateur en 1529 d’une première stalle dans le chœur de la cathédrale. L’évêque de Dol était M. de Hercé, ami de ma famille, prélat d’une grande modération politique, qui, à genoux, le crucifix à la main, fut fusillé avec son frère l’abbé de Hercé, à Quiberon, dans le Champ du Martyre[1]. En arrivant au collège, je fus confié aux soins particuliers de M. l’abbé Leprince, qui professait la rhétorique et possédait à fond la géométrie : c’était un homme d’esprit, d’une belle figure, aimant les arts, peignant assez bien le portrait. Il se chargea de m’apprendre mon Bezout ; l’abbé Égault, régent de troisième, devint mon maître de latin ; j’étudiais les mathématiques dans ma chambre, le latin dans la salle commune.

Il fallut quelque temps à un hibou de mon espèce pour s’accoutumer à la cage d’un collège et régler sa volée au son d’une cloche. Je ne pouvais avoir ces prompts amis que donne la fortune, car il n’y avait rien à gagner avec un pauvre polisson qui n’avait pas même d’argent de semaine ; je ne m’enrôlai point non

  1. Urbain-René De Hercé, né à Mayenne le 6 février 1726, sacré évêque de Dol le 5 juillet 1757. Il fut fusillé, le 28 juillet 1795, non à Quiberon, dans le Champ du martyre, mais à Vannes, sur la promenade de la Garenne, en même temps que Sombreuil et quatorze autres victimes, parmi lesquelles était son frère, François de Hercé, grand-vicaire de Dol, né à Mayenne, le 8 mai 1733. (Voir les Débris de Quiberon, par Eugène de la Gournerie, p. 13. — Consulter aussi, dans l’Histoire de la persécution révolutionnaire en Bretagne, par l’abbé Tresvaux, la notice sur Mgr. de Hercé. Il était le cinquième des dix-neuf enfants vivants de Jean-Baptiste de Hercé et de Françoise Tanquerel.)