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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

dans mon père ; mon frère la poussait jusqu’au ridicule ; elle a un peu passé à son fils aîné. — Je ne suis pas bien sûr, malgré mes inclinations républicaines, de m’en être complètement affranchi, bien que je l’aie soigneusement cachée.


L’époque de ma première communion approchait, moment où l’on décidait dans la famille de l’état futur de l’enfant. Cette cérémonie religieuse remplaçait parmi les jeunes chrétiens la prise de la robe virile chez les Romains. Madame de Chateaubriand était venue assister à la première communion d’un fils qui, après s’être uni à son Dieu, allait se séparer de sa mère.

Ma piété paraissait sincère ; j’édifiais tout le collège ; mes regards étaient ardents ; mes abstinences répétées allaient jusqu’à donner de l’inquiétude à mes maîtres. On craignait l’excès de ma dévotion ; une religion éclairée cherchait à tempérer ma ferveur.

J’avais pour confesseur le supérieur du séminaire des Eudistes, homme de cinquante ans, d’un aspect rigide. Toutes les fois que je me présentais au tribunal de la pénitence, il m’interrogeait avec anxiété. Surpris de la légèreté de mes fautes, il ne savait comment accorder mon trouble avec le peu d’importance des secrets que je déposais dans son sein. Plus le jour de Pâques s’avoisinait, plus les questions du religieux étaient pressantes. « Ne me cachez-vous rien ? » me disait-il. Je répondais : « Non, mon père. — N’avez-vous pas fait telle faute ? — Non, mon père. » Et toujours : « Non, mon père. » Il me renvoyait en doutant, en soupirant, en me regardant