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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

jusqu’au fond de l’âme, et moi, je sortais de sa présence, pâle et défiguré comme un criminel.

Je devais recevoir l’absolution le mercredi saint. Je passai la nuit du mardi au mercredi en prières, et à lire avec terreur le livre des Confessions mal faites. Le mercredi, à trois heures de l’après-midi, nous partîmes pour le séminaire ; nos parents nous accompagnaient. Tout le vain bruit qui s’est depuis attaché à mon nom n’aurait pas donné à madame de Chateaubriand un seul instant de l’orgueil qu’elle éprouvait comme chrétienne et comme mère, en voyant son fils prêt à participer au grand mystère de la religion.

En arrivant à l’église, je me prosternai devant le sanctuaire et j’y restai comme anéanti. Lorsque je me levai pour me rendre à la sacristie, où m’attendait le supérieur, mes genoux tremblaient sous moi. Je me jetai aux pieds du prêtre ; ce ne fut que de la voix la plus altérée que je parvins à prononcer mon Confiteor. « Eh bien, n’avez-vous rien oublié ? » me dit l’homme de Jésus-Christ. Je demeurai muet. Ses questions recommencèrent, et le fatal non, mon père, sortit de ma bouche. Il se recueillit, il demanda des conseils à Celui qui conféra aux apôtres le pouvoir de lier et de délier les âmes. Alors, faisant un effort, il se prépare à me donner l’absolution.

La foudre que le Ciel eût lancée sur moi m’aurait causé moins d’épouvante, je m’écriai : « Je n’ai pas tout dit ! » Ce redoutable juge, ce délégué du souverain Arbitre, dont le visage m’inspirait tant de crainte, devient le pasteur le plus tendre ; il m’embrasse et fond en larmes : « Allons, me dit-il, mon cher fils, du courage ! »