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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Je n’aurai jamais un tel moment dans ma vie. Si l’on m’avait débarrassé du poids d’une montagne, on ne m’eût pas plus soulagé : je sanglotais de bonheur. J’ose dire que c’est de ce jour que j’ai été créé honnête homme ; je sentis que je ne survivrais jamais à un remords : quel doit donc être celui du crime, si j’ai pu tant souffrir pour avoir tu les faiblesses d’un enfant ! Mais combien elle est divine cette religion qui se peut emparer ainsi de nos bonnes facultés ! Quels préceptes de morale suppléeront jamais à ces institutions chrétiennes ?

Le premier aveu fait, rien ne me coûta plus : mes puérilités cachées, et qui auraient fait rire le monde, furent pesées au poids de la religion. Le supérieur se trouva fort embarrassé ; il aurait voulu retarder ma communion ; mais j’allais quitter le collège de Dol et bientôt entrer au service dans la marine. Il découvrit avec une grande sagacité, dans le caractère même de mes juvéniles, tout insignifiantes qu’elles étaient, la nature de mes penchants ; c’est le premier homme qui ait pénétré le secret de ce que je pouvais être. Il devina mes futures passions ; il ne me cacha pas ce qu’il croyait voir de bon en moi, mais il me prédit aussi mes maux à venir. « Enfin, ajouta-t-il, le temps manque à votre pénitence ; mais vous êtes lavé de vos péchés par un aveu courageux, quoique tardif. » Il prononça, en levant la main, la formule de l’absolution. Cette seconde fois, ce bras foudroyant ne fit descendre sur ma tête que la rosée céleste ; j’inclinai mon front pour la recevoir ; ce que je sentais participait de la félicité des anges. Je m’allai précipiter dans le sein de ma mère qui m’attendait au pied de