Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t1.djvu/212

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Cette page a été validée par deux contributeurs.
146
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

lancolie de ma sœur. Elle avait d’ailleurs la manie de Rousseau sans en avoir l’orgueil : elle croyait que tout le monde était conjuré contre elle. Elle vint à Paris en 1789, accompagnée de cette sœur Julie dont elle a déploré la perte avec une tendresse empreinte de sublime. Quiconque la connut l’admira, depuis M. de Malesherbes jusqu’à Chamfort. Jetée dans les cryptes révolutionnaires à Rennes[1], elle fut au moment d’être renfermée au château de Combourg, de-

  1. Vers la fin de 1793, Lucile fut arrêtée et enfermée à Rennes, au couvent du Bon-Pasteur, devenu la prison de la Motte, où se trouvaient déjà sa sœur, madame de Farcy, et sa belle-sœur, madame de Chateaubriand. Un document émané du Comité de surveillance de la commune de Rennes relate ainsi les causes de leur incarcération :

    « Séance du 8 pluviôse an II (27 janvier 1794) de la République une et indivisible.

    « Le Comité de surveillance et révolutionnaire de la commune de Rennes a arrêté d’envoyer au district les motifs qui ont déterminé les incarcérations et arrestations des personnes suivantes :

    « 1o Julie Chateaubriand, femme Farcy, ex-noble, âgée de 27 ans, envoyée à la maison de réclusion de Rennes, le 21 octobre 1793 (vieux stile), par le Comité de surveillance de Fougères, sans autres motifs ;

    « 2o Lucille Chateaubriand, ex-noble, âgée de 25 ans, regardée comme suspecte aux termes de la loi du 17 septembre (vieux stile) ;

    « 3o Céleste Buisson, femme Chateaubriand, ex-noble, âgée de 18 ans, envoyée de Fougères le 21 octobre 1793, même motif. »

    Il ressort de cette pièce que Lucile n’a pas été envoyée de Fougères à Rennes, le 21 octobre 1793, bien qu’à cette époque elle vécût, dans la première de ces deux villes, avec sa sœur et sa belle-sœur. Il est probable qu’elle fut, à ce moment, laissée en liberté, et qu’elle provoqua elle-même son incarcération, pour ne pas quitter la jeune femme, son amie, dont elle avait promis de ne pas se séparer. On lit, en effet, dans une lettre de Lucile, la dernière qu’elle ait écrite à son frère : « Lorsque tu partis pour la seconde fois de France, tu remis ta femme entre mes