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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

convertit et on en fit un moine. Le matelot jerseyais, logé, vêtu et nourri à l’autel, trouvait cela beaucoup plus doux que d’aller serrer la voile du perroquet de fougue. Il se souvenait encore de son ancien métier : ayant été longtemps sans parler sa langue, il était enchanté de rencontrer quelqu’un qui l’entendît ; il riait et jurait en vrai pilotin. Il nous promena dans l’île.

Les maisons des villages, bâties en planches et en pierres, s’enjolivaient de galeries extérieures qui donnaient un air propre à ces cabanes, parce qu’il y régnait beaucoup de lumière. Les paysans, presque tous vignerons, étaient à moitié nus et bronzés par le soleil ; les femmes, petites, jaunes comme des mulâtresses, mais éveillées, étaient naïvement coquettes avec leurs bouquets de seringas, leurs chapelets en guise de couronnes ou de chaînes.

Les pentes des collines rayonnaient de ceps, dont le vin approchait celui de Fayal. L’eau était rare, mais, partout où sourdait une fontaine, croissait un figuier et s’élevait un oratoire avec un portique peint à fresque. Les ogives du portique encadraient quelques aspects de l’île et quelques portions de la mer. C’est sur un de ces figuiers que je vis s’abattre une compagnie de sarcelles bleues, non palmipèdes. L’arbre n’avait point de feuilles, mais il portait des fruits rouges enchâssés comme des cristaux. Quand il fut orné des oiseaux cérulés[1] qui laissaient pendre leurs ailes, ses fruits parurent d’une pourpre éclatante, tandis que l’arbre semblait avoir poussé tout à coup un feuillage d’azur.

  1. Locution nouvelle empruntée à l’adjectif latin cœruleus, azuré.