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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

séduit et ruiné par une fille peinte (une courtisane). Cette histoire, mise en vers siminoles sous le nom de Tabamica, se chantait au passage des bois[1]. Enlevées à leur tour par les colons, les Indiennes mouraient bientôt délaissées à Pensacola : leurs malheurs allaient grossir les Romanceros et se placer auprès des complaintes de Chimène.


C’est une mère charmante que la terre ; nous sortons de son sein : dans l’enfance, elle nous tient à ses mamelles gonflées de lait et de miel ; dans la jeunesse et l’âge mur, elle nous prodigue ses eaux fraîches, ses moissons et ses fruits ; elle nous offre en tous lieux l’ombre, le bain, la table et le lit ; à notre mort, elle nous rouvre ses entrailles, jette sur notre dépouille une couverture d’herbes et de fleurs, tandis qu’elle nous transforme secrètement dans sa propre substance, pour nous reproduire sous quelque forme gracieuse. Voilà ce que je me disais en m’éveillant lorsque mon premier regard rencontrait le ciel, dôme de ma couche.

Les chasseurs étant partis pour les opérations de la journée, je restais avec les femmes et les enfants. Je ne quittai plus mes deux sylvaines : l’une était fière, et l’autre triste. Je n’entendais pas un mot de ce qu’elles me disaient, elles ne me comprenaient pas ; mais j’allais chercher l’eau pour leur coupe, les sarments pour leur feu, les mousses pour leur lit.

  1. Je l’ai donnée dans mes Voyages. (Note de Genève, 1832.) Ch. — Cette histoire de Tabamica se trouve à la page 248 du Voyage en Amérique, où elle porte ce titre : Chanson de la Chair blanche.