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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t2.djvu/131

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de petits défauts dont on ne pouvait l’épurer : libertin, mauvais sujet, gagnant beaucoup d’argent et le mangeant de même, à la fois serviteur de la légitimité et ambassadeur du roi nègre Christophe auprès de George III, correspondant diplomatique de M. le comte de Limonade, et buvant en vin de Champagne les appointements qu’on lui payait en sucre. Cette espèce de M. Violet, jouant les grands airs de la Révolution sur un violon de poche, me vint voir et m’offrit ses services en qualité de Breton. Je lui parlai de mon plan de l’Essai ; il l’approuva fort : « Ce sera superbe ! » s’écria-t-il, et il me proposa une chambre chez son imprimeur Baylis, lequel imprimerait l’ouvrage au fur et à mesure de la composition. Le libraire Deboffe aurait la vente ; lui, Peltier, emboucherait la trompette dans son journal l’Ambigu, tandis qu’on pourrait s’introduire dans le Courrier français de Londres, dont la rédaction passa bientôt à M. de Montlosier[1]. Peltier ne doutait de rien : il parlait de


    Note 2 de la page 111 : Une des premières brochures de Peltier, publiée au mois d’octobre 1789, avait pour titre : Domine, salvum fac regem. Peltier y dénonçait le duc d’Orléans et Mirabeau comme les principaux auteurs des journées des 5 et 6 octobre.

    froid et retourna à Londres. Là, une autre déception l’attendait. Une de ses épigrammes contre le roi de France, qui atteignait par ricochet le roi d’Haïti, fut envoyée par l’abolitionniste Wilberforce à Christophe, qui, dans son mécontentement, retira au malheureux Peltier, avec ses pouvoirs, son sucre et son café. Revenu définitivement en France en 1820, il vécut encore quelques années, pauvre, mais inébranlablement fidèle, et mourut à Paris le 25 mars 1825. — Peltier est une des plus curieuses figures de la période révolutionnaire, et il mériterait les honneurs d’une ample et copieuse biographie.

  1. François-Dominique Reynaud, comte de Montlosier (1755-1838). Après avoir fait partie de la Constituante, où il siégeait au côté droit, il avait émigré à la fin de la session, avait fait la