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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

me faire donner la croix de Saint-Louis pour mon siège de Thionville. Mon Gil Blas, grand, maigre, escalabreux, les cheveux poudrés, le front chauve, toujours criant et rigolant, met son chapeau rond sur l’oreille, me prend par le bras et me conduit chez l’imprimeur Baylis, où il me loue sans façon une chambre, au prix d’une guinée par mois.

J’étais en face de mon avenir doré ; mais le présent, sur quelle planche le traverser ? Peltier me procura des traductions du latin et de l’anglais ; je travaillais le jour à ces traductions, la nuit à l’Essai historique dans lequel je faisais entrer une partie de mes voyages et de mes rêveries. Baylis me fournissait les livres, et j’employais mal à propos quelques schellings à l’achat des bouquins étalés sur les échoppes.

Hingant, que j’avais rencontré sur le paquebot de Jersey, s’était lié avec moi. Il cultivait les lettres, il était savant, écrivait en secret des romans dont il me lisait des pages. Il se logea, assez près de Baylis, au fond d’une rue qui donnait dans Holborn. Tous les matins, à dix heures, je déjeunais avec lui ; nous parlions de politique et surtout de mes travaux. Je lui disais ce que j’avais bâti de mon édifice de nuit,

    campagne de 1792 à l’armée des princes, puis était passé à Hambourg, d’où il vint à Londres en 1794. Il devint alors le principal rédacteur, non du Courrier français, mais du Courrier de Londres, et fit la fortune de ce journal, qui avait été fondé par l’abbé de Calonne. Sous le Consulat, il voulut continuer à Paris la publication de sa feuille, qui prit alors le titre de Courrier de Londres et de Paris, mais elle fut, après quelques numéros, supprimée par la censure. — Nous retrouverons plus tard, au cours de ces Mémoires, le comte de Montlosier.