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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Mlle  de la Placelière. Deux filles, nées de ce mariage, restèrent en bas âge orphelines de père et de mère. L’aînée se maria au comte du Plessix-Parscau[1], capitaine de vaisseau, fils et petit-fils d’amiraux, aujourd’hui contre-amiral lui-même, cordon rouge et commandant des élèves de la marine à Brest ; la cadette[2], demeurée chez son grand-père, avait dix-sept ans lorsque, à mon retour d’Amérique, j’arrivai à Saint-Malo. Elle était blanche, délicate, mince et fort jolie : elle laissait pendre, comme un enfant, de beaux cheveux blonds naturellement bouclés. On estimait sa fortune de cinq à six cent mille francs.

Mes sœurs se mirent en tête de me faire épouser Mlle  de Lavigne, qui s’était fort attachée à Lucile. L’affaire fut conduite à mon insu. À peine avais-je aperçu trois ou quatre fois Mlle  de Lavigne ; je la reconnaissais de loin sur le Sillon à sa pelisse rose, sa robe blanche et sa chevelure blonde enflée du vent, lorsque sur la grève je me livrais aux caresses de ma vieille maîtresse, la mer. Je ne me sentais aucune qualité du mari. Toutes mes illusions étaient vivantes, rien n’était épuisé en moi ; l’énergie même de mon existence avait doublé par mes courses. J’étais tourmenté de la muse. Lucile aimait Mlle  de Lavigne, et voyait dans ce mariage l’indépendance de ma fortune : « Faites donc ! » dis-je. Chez moi l’homme pu-

  1. Anne Buisson de la Vigne, née en 1772 et sœur aînée de Mme  de Chateaubriand, avait épousé à Saint-Malo, le 29 mai 1789, Hervé-Louis-Joseph-Marie de Parscau, et non de Parseau, comme le portent toutes les éditions précédentes. — Voir, à l’Appendice, le no I : Le comte du Plessix de Parscau.
  2. Céleste Buisson de la Vigne, née à Lorient en 1774. C’est elle qui sera Mme  de Chateaubriand.