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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

lin, l’année dernière, que j’appris la nouvelle de sa mort. Il était né à Niort, d’une famille noble et protestante : son père avait eu le malheur de tuer en duel son beau-frère. Le jeune Fontanes, élevé par un frère d’un grand mérite, vint à Paris. Il vit mourir Voltaire, et ce grand représentant du XVIIIe siècle lui inspira ses premiers vers : ses essais poétiques furent remarqués de La Harpe. Il entreprit quelques travaux pour le théâtre, et se lia avec une actrice charmante, mademoiselle Desgarcins. Logé auprès de l’Odéon, en errant autour de la Chartreuse, il en célébra la solitude. Il avait rencontré un ami destiné à devenir le mien, M. Joubert. La Révolution arrivée, le poète s’engagea dans un de ces partis stationnaires qui meurent toujours déchirés par le parti du progrès qui les tire en avant, et le parti rétrograde qui les tire en arrière. Les monarchiens attachèrent M. de Fontanes à la rédaction du Modérateur. Quand les jours devinrent mauvais, il se réfugia à Lyon et s’y maria. Sa femme accoucha d’un fils : pendant le siége de la ville que les révolutionnaires avaient nommée Commune affranchie, de même que Louis XI, en en bannissant les citoyens, avait appelé Arras Ville franchise, madame de Fontanes était obligée de changer de place le berceau de son nourrisson pour le mettre à l’abri des bombes. Retourné à Paris le 9 thermidor, M. de Fontanes établit le Mémorial[1] avec

  1. Le Mémorial historique, politique et littéraire, par MM. La Harpe, Vauxelles et Fontanes, fondé le 1er prairial an V (20 mai 1797), supprimé le 18 fructidor (4 septembre) de la même année. Malgré sa courte durée, ce journal jeta le plus vif éclat. Fontanes, le très spirituel abbé de Vauxelles, et La Harpe ont publié dans cette feuille des articles du plus rare mérite. Ceux