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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Nous vîmes Londres en détail : ancien banni, je servais de cicerone aux nouveaux réquisitionnaires de l’exil que la Révolution prenait, jeunes ou vieux : il n’y a point d’âge légal pour le malheur. Au milieu d’une de ces excursions, nous fûmes surpris d’une pluie mêlée de tonnerre et forcés de nous réfugier dans l’allée d’une chétive maison dont la porte se trouvait ouverte par hasard. Nous y rencontrâmes le duc de Bourbon : je vis pour la première fois, à ce Chantilly, un prince qui n’était pas encore le dernier des Condé.

Le duc de Bourbon, Fontanes et moi également proscrits, cherchant en terre étrangère, sous le toit du pauvre, un abri contre le même orage ! Fata viam invenient.

Fontanes fut rappelé en France. Il m’embrassa en faisant des vœux pour notre prochaine réunion. Arrivé en Allemagne, il m’écrivit la lettre suivante :

« 28 juillet 1798.

« Si vous avez senti quelques regrets à mon départ de Londres, je vous jure que les miens n’ont pas été moins réels. Vous êtes la seconde personne à qui, dans le cours de ma vie, j’aie trouvé une imagination et un cœur à ma façon. Je n’oublierai jamais les consolations que vous m’avez fait trouver dans l’exil et sur une terre étrangère. Ma pensée la plus chère et la plus constante, depuis que je vous ai quitté, se tourne sur les Natchez. Ce que vous m’en avez lu, et surtout dans les derniers jours, est admirable, et ne sortira plus de ma mémoire. Mais le charme des idées poétiques que