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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

que fait à Shakespeare une renommée dont le bruit ne peut monter jusqu’à lui ? Chrétien ? au milieu des félicités éternelles, s’occupe-t-il du néant du monde ? Déiste ? dégagé des ombres de la matière, perdu dans les splendeurs de Dieu, abaisse-t-il un regard sur le grain de sable où il a passé ? Athée ? il dort de ce sommeil sans souffle et sans réveil qu’on appelle la mort. Rien donc de plus vain que la gloire au delà du tombeau, à moins qu’elle n’ait fait vivre l’amitié, qu’elle n’ait été utile à la vertu, secourable au malheur, et qu’il ne nous soit donné de jouir dans le ciel d’une idée consolante, généreuse, libératrice, laissée par nous sur la terre.


Les romans, à la fin du siècle dernier, avaient été compris dans la proscription générale. Richardson[1] dormait oublié ; ses compatriotes trouvaient dans son style des traces de la société inférieure au sein de laquelle il avait vécu. Fielding[2] se soutenait ; Sterne[3], entrepreneur d’originalité, était passé. On lisait encore le Vicaire de Wakefield[4].

  1. Samuel Richardson (1689-1761). Il n’a publié que trois romans, mais qui eurent tous les trois une vogue prodigieuse, Paméla ou la Vertu récompensée (1740), Clarisse Harlowe (1748), l’Histoire de sir Charles Grandison (1753). Leur succès fut peut-être encore plus grand en France qu’en Angleterre.
  2. Henry Fielding (1707-1754), auteur de Joseph Andrews, de Jonathan Wild, d’Amélia et de Tom Jones. Ce dernier roman est un chef-d’œuvre, qui a été rarement égalé. Lord Byron n’a pas craint d’appeler Fielding « l’Homère en prose de la nature humaine ».
  3. Laurence Sterne (1713-1768) auteur de Tristram Shandy et du Voyage sentimental.
  4. Le Vicaire de Wakefield, d’Olivier Goldsmith, avait paru en 1766.