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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

pouvez être aimé. Henri VIII et Élisabeth moururent aussi à Richmond : où ne meurt-on pas ? Henri VIII se plaisait à cette résidence. Les historiens anglais sont fort embarrassés de cet abominable homme ; d’un côté, ils ne peuvent dissimuler la tyrannie et la servitude du Parlement ; de l’autre, s’ils disaient trop anathème au chef de la Réformation, ils se condamneraient en le condamnant :

Plus l’oppresseur est vil, plus l’esclave est infâme[1]


On montre dans le parc de Richmond le tertre qui servait d’observatoire à Henri VIII pour épier la nouvelle du supplice d’Anne Boleyn. Henri tressaillit d’aise au signal parti de la Tour de Londres. Quelle volupté ! le fer avait tranché le col délicat, ensanglanté les beaux cheveux auxquels le poète-roi avait attaché ses fatales caresses.

Dans le parc abandonné de Richmond, je n’attendais aucun signal homicide, je n’aurais pas même souhaité le plus petit mal à qui m’aurait trahi. Je me promenais avec quelques daims paisibles : accoutumés à courir devant une meute, ils s’arrêtaient lorsqu’ils étaient fatigués ; on les rapportait, fort gais et tout amusés de ce jeu, dans un tombereau rempli de paille. J’allais voir à Kew[2] les kanguroos, ridicules

  1. C’est un vers de La Harpe dans son poème sur la Révolution. Sans doute, le sens et l’énergie de ce vers plaisaient tout particulièrement à Chateaubriand, car il lui arrivera encore de le citer dans ce même volume.
  2. Village du comté de Surrey, à treize kilomètres O. de Londres, sur la rive droite de la Tamise. Kew possède un château royal, célèbre par son observatoire et son jardin botanique, un des plus riches qu’il y ait au monde.