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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

en amont de la Tamise m’aperçut sur la rive ; les rameurs avisant un Français poussèrent des hourras ; on venait de recevoir la nouvelle du combat naval d’Aboukir : ces succès de l’étranger, qui pouvaient m’ouvrir les portes de la France, m’étaient odieux. Nelson, que j’avais rencontré plusieurs fois dans Hyde-Park, enchaîna ses victoires à Naples dans le châle de lady Hamilton, tandis que les lazzaroni jouaient à la boule avec des têtes. L’amiral mourut glorieusement à Trafalgar, et sa maîtresse misérablement à Calais, ayant perdu beauté, jeunesse et fortune. Et moi qu’outragea sur la Tamise le triomphe d’Aboukir, j’ai vu les palmiers de la Libye border la mer calme et déserte qui fut rougie du sang de mes compatriotes.

Le parc de Stowe est célèbre par ses fabriques : j’aime mieux ses ombrages. Le cicerone du lieu nous montra, dans une ravine noire, la copie d’un temple dont je devais admirer le modèle dans la brillante vallée du Céphise. De beaux tableaux de l’école italienne s’attristaient au fond de quelques chambres inhabitées, dont les volets étaient fermés : pauvre Raphaël, prisonnier dans un château des vieux Bretons, loin du ciel de la Farnésine !

Hampton-Court conservait la collection des portraits des maîtresses de Charles II : voilà comme ce prince avait pris les choses en sortant d’une révolution qui fit tomber la tête de son père et qui devait chasser sa race.

Nous vîmes, à Slough, Herschell[1] avec sa savante

  1. William Herschell (1738-1822). Le roi George III lui avait donné, au bourg de Slough, une habitation voisine de son châ-