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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Madame de Beaumont, plutôt mal que bien de figure, est fort ressemblante dans un portrait fait par madame Lebrun. Son visage était amaigri et pâle ; ses yeux, coupés en amande, auraient peut-être jeté trop d’éclat, si une suavité extraordinaire n’eût éteint à demi ses regards en les faisant briller languissamment, comme un rayon de lumière s’adoucit en traversant le cristal de l’eau. Son caractère avait une sorte de roideur et d’impatience qui tenait à la force de ses sentiments et au mal intérieur qu’elle éprouvait. Âme élevée, courage grand, elle était née pour le monde d’où son esprit s’était retiré par choix et malheur ; mais quand une voix amie appelait au dehors cette intelligence solitaire, elle venait et vous disait quelques paroles du ciel. L’extrême faiblesse de madame de Beaumont rendait son expression lente, et cette lenteur touchait ; je n’ai connu cette femme affligée qu’au moment de sa fuite ; elle était déjà frappée de mort, et je me consacrai à ses douleurs. J’avais pris un logement rue Saint-Honoré, à l’hôtel d’Étampes[1], près de la rue Neuve-du-Luxembourg. Madame de Beaumont occupait dans cette dernière rue un appartement ayant vue sur les jardins du ministère de

    guillotiné avec elle. Sa fille aînée, mariée au comte de la Luzerne, mourut le 10 juillet 1794, à l’archevêché, devenu l’hôpital des prisons.

  1. On lit dans une lettre de Mme de Beaumont à Chênedollé, du 7 fructidor an X (25 août 1802) : « Il (Chateaubriand) est dans son nouveau logement, Hôtel d’Étampes, no 84. Ce logement est charmant, mais il est bien haut. Toute la société vous regrette et vous désire ; mais M. Joubert est dans les grands abattements, M. de Chateaubriand est enrhumé, Fontanes tout honteux et la plus aimable des sociétés ne bat que d’une aile. »