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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

peine qui sont une espèce différente des autres âmes, et qui mêlent, en passant, leur malheur inconnu aux vulgaires souffrances de l’espèce humaine : c’était Lucile, ma sœur.

Après mon arrivée en France, j’avais écrit à ma famille pour l’informer de mon retour. Madame la comtesse de Marigny, ma sœur aînée, me chercha la première, se trompa de rue et rencontra cinq messieurs Lassagne, dont le dernier monta du fond d’une trappe de savetier pour répondre à son nom. Madame de Chateaubriand vint à son tour : elle était charmante et remplie de toutes les qualités propres à me donner le bonheur que j’ai trouvé auprès d’elle, depuis que nous sommes réunis. Madame la comtesse de

    équipés à neuf et soldés tous les prisonniers de sa nation. Ce traité, ajoutait-on, avait été vendu à l’Angleterre !… Mais, en 1804, quand Laborie obtint son rappel en France, il dut être évident pour tous ceux qui connaissaient l’empereur Napoléon que, si une telle trahison eût été commise par Laborie, jamais il n’en eût été gracié. Le voile qui couvrit alors cette aventure le couvre encore aujourd’hui. Toujours est-il que Laborie fut éloigné des affaires, mais il conserva la faveur de celui qui les faisait, M. de Talleyrand, et plus tard il reparut sous ses auspices sur un tout autre théâtre, après avoir été à Paris avocat consultant et lecteur à domicile de Mme  de la Briche. Ce fut, je crois, à cette dernière phase de sa vie que Laborie éprouva la fantaisie de se marier. Je ne sais pourquoi cela parut alors si étrange. Toutefois il épousa une très belle personne, fille du docteur Lamothe, médecin et ami de notre famille, et sœur d’un brillant officier qui fut depuis lieutenant-général. Mais comme la société s’obstinait à ne pas prendre le mariage de Laborie aussi au sérieux que lui-même, quand le bruit de sa paternité se répandit, on la mit sur le compte de sa distraction devenue proverbiale. » — Au mois d’avril 1814, son protecteur Talleyrand le nomma secrétaire du gouvernement provisoire. En 1815, Chateaubriand le retrouvera à Gand, et peut-être alors aurons-nous lieu d’en dire encore quelques mots.