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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t2.djvu/310

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

les Babet ou les intrigues de ces salons que l’on ne connaissait plus, se jouaient (comme je l’ai déjà fait remarquer) devant des hommes grossiers et sanguinaires, destructeurs des mœurs dont on leur offrait le tableau ; dans la tragédie, un parterre plébéien s’occupait des familles des nobles et des rois.

Deux choses arrêtaient la littérature à la date du XVIIIe siècle : l’impiété qu’elle tenait de Voltaire et de la Révolution, le despotisme dont la frappait Bonaparte. Le chef de l’État trouvait du profit dans ces lettres subordonnées qu’il avait mises à la caserne, qui lui présentaient les armes, qui sortaient lorsqu’on criait : « Hors la garde ! » qui marchaient en rang et qui manœuvraient comme des soldats. Toute indépendance semblait rébellion à son pouvoir ; il ne voulait pas plus d’émeute de mots et d’idées qu’il ne souffrait d’insurrection. Il suspendit l’Habeas corpus pour la pensée comme pour la liberté individuelle. Reconnaissons aussi que le public, fatigué d’anarchie, reprenait volontiers le joug des règles.

La littérature qui exprime l’ère nouvelle n’a régné que quarante ou cinquante ans après le temps dont elle était l’idiome. Pendant ce demi-siècle elle n’était employée que par l’opposition. C’est madame de Staël, c’est Benjamin Constant, c’est Lemercier, c’est Bonald, c’est moi enfin, qui les premiers avons parlé cette langue. Le changement de littérature dont le XIXe siècle se vante lui est arrivé de l’émigration et de l’exil : ce fut M. de Fontanes qui couva ces oiseaux d’une autre espèce que lui, parce que, remontant au XVIIe siècle, il avait pris la puissance de ce temps fécond et perdu la stérilité du XVIIIe. Une partie de l’esprit humain,