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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Fouché, accouru de Juilly et de Nantes, étudiait le désastre sous ces docteurs : dans le cercle des bêtes féroces attentives au bas de la chaire, il avait l’air d’une hyène habillée. Il haleinait les futures effluves du sang ; il humait déjà l’encens des processions à ânes et à bourreaux, en attendant le jour où, chassé du club des Jacobins, comme voleur, athée, assassin, il serait choisi pour ministre[1]. Quand Marat était descendu de sa planche, ce Triboulet populaire devenait le jouet de ses maîtres : ils lui donnaient des nasardes, lui marchaient sur les pieds, le bousculaient avec des huées, ce qui ne l’empêcha pas de devenir

    était le meilleur restaurateur de Paris. L’abbé Delille l’a célébré au chant III de l’Homme des Champs :

    Leur appétit insulte à tout l’art des Méots.

    Ses succulents dîners faisaient venir l’eau à la bouche de Camille Desmoulins, qui s’écriait, dès les premiers temps de la Révolution : « Moi aussi, je veux célébrer la République… pourvu que les banquets se fassent chez Méot. » (Histoire politique et littéraire de la Presse en France, par Eugène Hatin, tome V, p. 308).

  1. Joseph Fouché, duc d’Otrante (1754-1820), membre de la Convention, membre du Sénat conservateur, représentant et pair des Cent-Jours, député de 1815 à 1816, ministre de la police sous le Directoire, sous Napoléon et sous Louis XVIII. Après avoir été professeur à Juilly, il était principal du collège des Oratoriens à Nantes, lorsqu’il fut envoyé à la Convention par le département de la Loire-Inférieure. — Chateaubriand lui trouvait l’air d’une hyène habillée ; tout au moins avait-il l’air d’une fouine. On lit dans le Mémorial de Norvius (tome III, p. 318) : « J’avais vu souvent à Paris le duc d’Otrante, et en le revoyant à Rome (à la fin de 1813), je ne pus m’empêcher de rire, me rappelant qu’étant à dîner à Auteuil, chez Mme de Brienne, avec lui et la princesse de Vaudémont, celle-ci, en sortant de table, le mena devant une des glaces du salon et, lui prenant familièrement le menton, s’écria : Mon Dieu ! mon petit Fouché, comme vous avez l’air d’une fouine ! »