Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t2.djvu/369

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

mier regard sur le Colisée, le Panthéon, la colonne Trajane et le château Saint-Ange. Le soir, M. Artaud me mena à un bal dans une maison aux environs de la place Saint-Pierre. On apercevait la girandole de feu de la coupole de Michel-Ange, entre les tourbillons des valses qui roulaient devant les fenêtres ouvertes ; les fusées du feu d’artifice du môle d’Adrien s’épanouissaient à Saint-Onuphre, sur le tombeau du Tasse : le silence, l’abandon et la nuit étaient dans la campagne romaine[1].

Le lendemain j’assistai à l’office de la Saint-Pierre. Pie VII, pâle, triste et religieux, était le vrai pontife des tribulations. Deux jours après, je fus présenté à Sa Sainteté : elle me fit asseoir auprès d’elle. Un volume du Génie du Christianisme était obligeamment

  1. Le lendemain, dans la ferveur de son enthousiasme, il écrit à Fontanes :
    « Rome, 10 messidor an xi (29 juin 1803).

    « Mon cher et très cher ami, un mot pour vous annoncer mon arrivée. Me voilà logé chez M. Cacault qui me traite comme son fils. Il est Breton. (M. Cacault était né à Nantes). Le secrétaire de légation (M. Artaud), que je remplace ou que je ne remplace pas (car il n’est pas encore rappelé), me trouve le meilleur enfant du monde et nous sommes les meilleurs amis. Je reçois compliments sur compliments de tous les grands du monde, et pour achever cette chance heureuse, je tombe à Rome la veille même de la Saint-Pierre, et je vois en arrivant la plus belle fête de l’année, au pied même du trône pontifical.

    « Venez vite ici, mon cher ami. Toute ma froideur n’a pu tenir contre une chose si étonnante : j’ai la tête troublée de tout ce que je vois. Figurez-vous que vous ne savez rien de Rome, que personne ne sait rien quand on n’a pas vu tant de grandeurs, de ruines, de souvenirs.

    « Enfin, venez, venez : voilà tout ce que je puis vous dire à présent. Il faut que mes idées se soient un peu rassemblées, avant que je puisse vous tracer l’ombre de ce que je vois… »