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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t2.djvu/472

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

tête, pour séparer la mâchoire supérieure des os de la face, etc.

À cette dérision des vanités humaines, il ne manquait que l’immolation pareille de Murat, gouverneur de Paris, la mort de Bonaparte captif, et cette inscription gravée sur le cercueil du duc d’Enghien : « Ici est le corps de très-haut et puissant prince du sang, pair de France, mort à Vincennes le 21 mars 1804, âgé de 31 ans 7 mois et 19 jours. » Le corps était des os fracassés et nus ; le haut et puissant prince, les fragments brisés de la carcasse d’un soldat : pas un mot qui rappelle la catastrophe, pas un mot de blâme ou de douleur dans cette épitaphe gravée par une famille en larmes ; prodigieux effet du respect que le siècle porte aux œuvres et aux susceptibilités révolutionnaires ! On s’est hâté de même de faire disparaître la chapelle mortuaire du duc de Berri.

Que de néants ! Bourbons, inutilement rentrés dans vos palais, vous n’avez été occupés que d’exhumations et de funérailles ; votre temps de vie était passé. Dieu l’a voulu ! L’ancienne gloire de la France périt sous les yeux de l’ombre du grand Condé, dans un fossé de Vincennes : peut-être était-ce au lieu même où Louis IX, à qui l’on n’alloit que comme à un saint, s’asseyoit sous un chesne, et où tous ceux qui avoient affaire à luy venaient luy parler sans empeschement d’huissiers ni d’autres ; et quand il voyoit aucune chose à amender, en la parole de ceux qui parloient pour autrui, lui-même l’amendoit de sa bouche, et tout le peuple qui avoit affaire par-devant lui estoit autour de luy. » (Joinville.)