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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE


MON ITINÉRAIRE.

« Le temps était si beau et l’air si doux, que tous les passagers restaient la nuit sur le pont. J’avais disputé un point du gaillard d’arrière à deux gros caloyers qui ne me l’avaient cédé qu’en grommelant. C’était là que je dormais le 30 de septembre, à six heures du matin, lorsque je fus éveillé par un bruit confus de voix : j’ouvris les yeux et j’aperçus les pèlerins qui regardaient vers la proue du vaisseau. Je demandai ce que c’était ; on me cria : Signor, il Carmelo ! Le Carmel ! Le vent s’était levé la veille à huit heures du soir, et, dans la nuit, nous étions arrivés à la vue des côtes de Syrie. Comme j’étais couché tout habillé, je fus bientôt debout, m’enquérant de la montagne sacrée. Chacun s’empressait de me la montrer de la main ; mais je n’apercevais rien, à cause du soleil qui commençait à se lever en face de nous. Ce moment avait quelque chose de religieux et d’auguste ; tous les pèlerins, le chapelet à la main, étaient restés en silence dans la même attitude, attendant l’apparition de la Terre Sainte ; le chef des papas priait à haute voix : on n’entendait que cette prière et le bruit de la course du vaisseau que le vent le plus favorable poussait sur une mer brillante. De temps en temps un cri s’élevait de la proue, quand on revoyait le Carmel. J’aperçus enfin, moi-même, cette montagne, comme une tache ronde au-dessous des rayons du soleil. Je me mis alors à genoux à la manière des Latins. Je ne sentis point cette espèce de trouble que j’éprouvai en découvrant les côtes de la Grèce : mais la vue du ber-