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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

ingrate ! Cependant, j’avais gardé un souvenir parfait de la fille inconnue qui s’assit auprès de moi dans la triste Cyclade glacée :

« Une jeune marinière parut dans les déclivités supérieures du morne, elle avait les jambes nues quoiqu’il fît froid, et marchait parmi la rosée. » etc.

Des circonstances indépendantes de ma volonté m’empêchèrent de voir mademoiselle Dupont. Si, par hasard, c’était la fiancée de Guillaumy, quel effet un quart de siècle avait-il produit sur elle ? Avait-elle été atteinte de l’hiver de Terre Neuve, ou conservait-elle le printemps des fèves en fleurs, abritées dans le fossé du fort Saint-Pierre ?

À la tête d’une excellente traduction des lettres de saint Jérôme, MM. Collombet et Grégoire[1] ont voulu trouver dans leur notice, entre ce saint et moi, à propos de la Judée, une ressemblance à laquelle je me refuse par respect. Saint Jérôme, du fond de sa solitude, traçait la peinture de ses combats intérieurs : je n’aurais pas rencontré les expressions de génie de l’habitant de la grotte de Bethléem ; tout au plus aurais-je pu chanter avec saint François, mon patron en France et mon hôtelier au Saint-Sépulcre, ces deux cantiques en italien de l’époque qui précède l’italien de Dante :

In foco l’amor mi mise,
In foco l’amor mi mise.

J’aime à recevoir des lettres d’outre-mer ; ces lettres semblent m’apporter quelque murmure des vents,

  1. Lettres de Saint Jérôme, traduites en français par F. Z. Collombet et J.-F. Grégoire, cinq volumes in-8o.