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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t2.djvu/574

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

veuille-moi recevoir pour compagnon en une si sainte et si dévote rencontre, afin que je n’aie point occasion de me plaindre en tout, ayant, en récompense de plusieurs maux que j’ai endurés, rencontré au moins cette bonne aventure de pouvoir toucher avec mes mains et aider à ensevelir le plus grand capitaine des Romains. »

Le rival de César n’a plus de tombeau près de la Libye, et une jeune esclave libyenne a reçu de la main d’une Pompée une sépulture non loin de cette Rome, d’où le grand Pompée était banni. À ces jeux de la fortune, on conçoit comment les chrétiens s’allaient cacher dans la Thébaïde :

« Née en Libye, ensevelie à la fleur de mes ans sous la poussière ausonienne, je repose près de Rome le long de ce rivage sablonneux. L’illustre Pompée, qui m’avait élevée avec une tendresse de mère, a pleuré ma mort et m’a déposée dans un tombeau qui m’égale, moi pauvre esclave, aux Romains libres. Les feux de mon bûcher ont prévenu ceux de l’hymen. Le flambeau de Proserpine a trompé nos espérances. » (Anthologie.)

Les vents ont dispersé les personnages de l’Europe, de l’Asie, de l’Afrique, au milieu desquels j’ai paru, et dont je viens de vous parler : l’un est tombé de l’Acropolis d’Athènes, l’autre du rivage de Chio ; celui-ci s’est précipité de la montagne de Sion, celui-là ne sortira plus des flots du Nil ou des citernes de Carthage. Les lieux aussi ont changé : de même qu’en Amérique s’élèvent des villes où j’ai vu des forêts, de même un empire se forme dans ces arènes de l’Égypte, où mes regards n’avaient rencontré que des