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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t2.djvu/58

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

sans tristesse ; ils étaient persuadés que nous faisions un voyage d’agrément. Mes quinze cents francs retrouvés semblaient un trésor suffisant pour me ramener triomphant à Paris.


Le 15 juillet, à six heures du matin, nous montâmes en diligence : nous avions arrêté nos places dans le cabriolet, auprès du conducteur : le valet de chambre, que nous étions censés ne pas connaître, s’enfourna dans le carrosse avec les autres voyageurs. Saint-Louis était somnambule ; il allait la nuit chercher son maître dans Paris, les yeux ouverts, mais parfaitement endormi. Il déshabillait mon frère, le mettait au lit, toujours dormant, répondant à tout ce qu’on lui disait pendant ses attaques : « Je sais, je sais, » ne s’éveillant que quand on lui jetait de l’eau froide au visage : homme d’une quarantaine d’années, haut de près de six pieds, et aussi laid qu’il était grand. Ce pauvre

    d’Oberkirch dans ses Mémoires, visiter le jardin de M. Boutin, que le populaire a qualifié de Folie-Boutin et qui est bien une folie. Il y a dépensé, ou plutôt enfoui plusieurs millions. C’est un lieu de plaisirs ravissants, les surprises s’y trouvent à chaque pas ; les grottes, les bosquets, les statues, un charmant pavillon meublé avec un luxe de prince. Il faut être roi ou financier pour se créer des fantaisies semblables. Nous y prîmes d’excellent lait et des fruits dans de la vaisselle d’or. » Boutin était riche : il fut guillotiné le 22 juillet 1794. Ses biens furent confisqués. Son parc de la rue de Clichy fut détruit de fond en comble, les ombrages anéantis, les pelouses retournées. On épargna uniquement une faible partie de la propriété, dont on fit une promenade à la mode sous son appellation de Tivoli, promenade où se donnèrent maintes fêtes et qui, par son nom, éveille encore tant de souvenirs dans nos esprits, mais dont aujourd’hui il ne reste plus que ce qu’en ont dit les livres et les journaux du temps. (La Vie privée des Financiers au XVIIIe siècle, par H. Thirion, p. 276.)