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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

« Monsieur va… ? — Où l’on se bat, » interrompis-je. On se leva de table.

Cette émigration fate m’était odieuse ; j’avais hâte de voir mes pairs, des émigrés comme moi à six cents livres de rente. Nous étions bien stupides, sans doute, mais du moins nous avions notre rapière au vent, et si nous eussions obtenu des succès, ce n’est pas nous qui aurions profité de la victoire.

Mon frère resta à Bruxelles, auprès du baron de Montboissier[1] dont il devint l’aide de camp ; je partis seul pour Coblentz.

Rien de plus historique que le chemin que je suivis ; il rappelait partout quelques souvenirs ou quelques grandeurs de la France. Je traversai Liège, une de ces républiques municipales qui tant de fois se soulevèrent contre leurs évêques ou contre les comtes de Flandre. Louis XI, allié des Liégeois, fut obligé d’assister au sac de leur ville, pour échapper à sa ridicule prison de Péronne.

J’allais rejoindre et faire partie de ces hommes de guerre qui mettent leur gloire à de pareilles choses. En 1792, les relations entre Liège et la France étaient plus paisibles : l’abbé de Saint-Hubert était obligé d’envoyer tous les ans deux chiens de chasse aux successeurs du roi Dagobert.

À Aix-la-Chapelle, autre don, mais de la part de la France : le drap mortuaire qui servait à l’enterrement d’un monarque très chrétien était envoyé au tombeau

  1. Le baron de Montboissier, gendre de Malesherbes, était l’oncle par alliance du frère de Chateaubriand. — Sur le baron de Montboissier, voir au tome I des Mémoires, la note 1 de la page 232 (note 37 du Livre V).