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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

plus d’accord avec les opinions de l’empereur au moment qu’il revit son œuvre. C’est un dialogue entre un Marseillais, un Nimois, un militaire et un fabricant de Montpellier. Il est question de l’affaire du moment, de l’attaque d’Avignon par l’armée de Carteaux, dans laquelle Napoléon avait figuré en qualité d’officier d’artillerie. Il annonce au Marseillais que son parti sera battu, parce qu’il a cessé d’adhérer à la Révolution. Le Marseillais dit au militaire, c’est-à-dire à Bonaparte : « On se ressouvient toujours de ce monstre qui était cependant un des principaux du club ; il fit lanterner un citoyen, pilla sa maison et viola sa femme, après lui avoir fait boire un verre du sang de son époux. — Quelle horreur ! s’écrie le militaire ; mais ce fait est-il vrai ? Je m’en méfie, car vous savez que l’on ne croit plus au viol aujourd’hui. »

Légèreté du dernier siècle qui fructifiait dans le tempérament glacé de Bonaparte. Cette accusation d’avoir bu et fait boire du sang a souvent été reproduite. Quand le duc de Montmorency fut décapité à Toulouse, les hommes d’armes burent de son sang pour se communiquer la vertu d’un grand cœur.


Nous arrivons au siège de Toulon. Ici s’ouvre la carrière militaire de Bonaparte. Sur le rang que Napoléon occupait alors dans l’artillerie, le carton du cardinal Fesch renferme un étrange document : c’est un brevet de capitaine d’artillerie délivré le 30 août 1792 à Napoléon par Louis XVI[1], vingt jours après le détrônement réel, arrivé le 10 août. Le roi avait été ren-

  1. M. Frédéric Masson (Napoléon inconnu, tome II, p. 400) a donné un fac-similé de ce brevet du 30 août.