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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

vait planer sur l’armée française, choisir l’empereur entre mille, s’abattre sur sa tête dans une pluie de fer et de feu. À l’essai les ailes de l’aérostat se brisèrent ; force fut de renoncer à la bombe des nuées ; mais les artifices restèrent à Rostopschin. Les nouvelles du désastre de Borodino étaient arrivées à Moscou, tandis que, sur un bulletin de Kutuzof, on se flattait encore de la victoire dans le reste de l’empire. Rostopschin avait fait diverses proclamations en prose rimée ; il disait :

« Allons, mes amis les Moscovites, marchons aussi ! Nous rassemblerons cent mille hommes, nous prendrons l’image de la sainte Vierge, cent cinquante pièces de canon, et nous mettrons fin à tout. »

Il conseillait aux habitants de s’armer simplement de fourches, un Français ne pesant pas plus qu’une gerbe.

On sait que Rostopschin a décliné toute participation à l’incendie de Moscou[1], on sait aussi qu’Alexandre

  1. Le comte Rostopchin a publié, à Paris, en 1823, une brochure intitulée : La Vérité sur l’incendie de Moscou, dans laquelle il repousse la responsabilité de l’acte héroïque et terrible qui a immortalisé son nom. Nul doute pourtant qu’il n’en soit l’auteur. Voici, à cet égard, le témoignage d’un homme bien placé pour savoir la vérité. Joseph de Maistre, alors ambassadeur à Saint-Pétersbourg, écrivait, le 22 novembre 1812, à M. le comte de Front, ministre des affaires étrangères du roi de Sardaigne : « Je puis enfin avoir l’honneur d’apprendre à Sa Majesté, avec une certitude parfaite, que l’incendie de Moscou est entièrement l’ouvrage des Russes, et n’est dû qu’à la politique terrible et profonde qui avait résolu que l’ennemi, s’il entrait à Moscou, ne pourrait s’y nourrir, ni s’y enrichir. Dans une campagne très proche de la capitale, on fabriquait depuis plusieurs jours toutes sortes d’artifices incendiaires, et l’on disait