il se rabattit au midi. Sa marche de nuit était à demi éclairée par l’incendie lointain de Moscou, dont il sortait un bourdonnement lugubre ; on eût dit que la cloche qu’on n’avait jamais pu monter à cause de son énorme poids eût été magiquement suspendue au haut d’un clocher brûlant pour tinter les glas. Kutuzof atteignit Voronowo, possession du comte Rostopschin ; à peine avait-il entrevu la superbe demeure, qu’elle s’enfonce dans le gouffre de nouvelle conflagration. Sur la porte de fer d’une église, on lisait cet écriteau, la scritta morta, de la main du propriétaire : « J’ai embelli pendant huit ans cette campagne, et j’y ai vécu heureux au sein de ma famille ; les habitants de cette terre, au nombre de dix-sept cent vingt, la quittent à votre approche, et moi je mets le feu à ma maison pour qu’elle ne soit pas souillée par votre présence. Français, je vous ai abandonné mes deux maisons de Moscou, avec un mobilier d’un demi-million de roubles. Ici vous ne trouverez que des cendres.
Bonaparte avait au premier moment admiré les feux et les Scythes comme un spectacle apparenté à son imagination ; mais bientôt le mal que cette catastrophe lui faisait le refroidit et le fit retourner à ses injurieuses diatribes. En envoyant la lettre de Rostopchin en France, il ajoute : « Il paraît que Rostopschin est aliéné ; les Russes le regardent comme une espèce de Marat. » Qui ne comprend pas la grandeur dans les autres ne la comprendra pas pour soi quand le temps des sacrifices sera venu.