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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

n’avait pas reçu 70 000 francs des mains de M. Maret, et que le gouvernement n’avait pas payé ses dettes. Cette preuve, elle se trouve dans sa correspondance, dans ses lettres à ses amis les plus intimes, lettres qui apparemment n’étaient pas écrites en vue de la publicité.

Le 10 mai 1811, il écrit à son ami M. Frisell, alors en Italie :


J’ai reçu votre lettre, mon cher ami, datée de la ville où j’aimerais le mieux vivre et mourir. Je suis bien aise que vous ayez reçu la même impression que moi de cette belle Italie. Quel soleil ! quelle lumière ! quels souvenirs ! Combien nous sommes barbares en deçà des Alpes ! Si j’étais riche et que je pusse voyager à mon aise, l’Italie me verrait tous les deux ans, et peut-être finirais-je par me fixer au milieu des ruines de Rome. Mais je deviens vieux ; je n’ai pas un sou, et ne pouvant plus parcourir le monde, je ne cherche plus qu’à le quitter. Il faut faire une fin, et je vous attends pour savoir si c’est la Trappe ou la rivière qui doit finir la tragi-comédie…


Et quelques jours plus tard, le 31 mai, il écrit à la duchesse de Duras, à celle qu’il appelle sa sœur :


Il faut qu’Ussé[1] soit bien loin, car la réponse de ma sœur a été bien longtemps en route. J’attendais avec impatience le premier mot écrit du château de la belle cousine. Je suis désolé de voir que ma cousine est très triste. Je ne suis pas gai non plus. Mes affaires vont très mal. Rien ne s’arrange ; et j’ai devant moi un avenir si trouble et si noir que je ne sais comment j’échapperai à la catastrophe qui me menace


Les dettes de Chateaubriand ont été si peu payées en 1811, que Mme de Duras a dû prendre, au commencement de 1812, l’initiative de régler les créanciers du grand écrivain. M. Bardoux, dans son livre sur la Duchesse de Duras, nous a fourni sur cet incident de précieux détails. Chateaubriand, pressé par la gêne, avait engagé à un créancier son manuscrit du Dernier Abencerage ; M. de Tocque-

  1. Le château d’Ussé en Touraine, résidence de madame de Duras.