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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

lait avec propriété, lucidité et connaissance des faits[1]. On trouverait inconvenant à Londres qu’un président des ministres s’exprimât avec prolixité et faconde. C’était d’ailleurs un parfait gentleman pour le ton. Un jour, aux Pâquis, à Genève, on m’annonça un Anglais : lord Harrowby entra ; je ne le reconnus

  1. Dudley Ryder, premier comte de Harrowby, né en 1762, mort en 1847. Fils de Nathaniel Ryder, premier baron Harrowby, il entra au Parlement en 1784 comme député de Tiverton, bourg de sa famille, devint sous-secrétaire d’État des Affaires étrangères en 1789 et, l’année suivante, contrôleur de la maison du Roi. Orateur lucide et agréable, il avait une belle prestance. Il se lia avec Pitt, à qui il servit de témoin dans le duel de celui-ci avec Tierney. La mort de son père, en 1803, le fit entrer à la Chambre des lords. Lorsque Pitt succéda à Addington comme premier ministre en 1804, Harrowby fut nommé ministre des affaires étrangères, mais il ne garda ce poste que quelques mois, ayant fait une chute grave dans l’escalier du Foreign Office. En 1809, il fut créé vicomte Sandon et comte de Harrowby. En 1812, il entra dans le cabinet en qualité de président du Conseil Privé, fonctions qu’il devait conserver jusqu’en 1827. C’était dans sa maison de Grosvenor Square que Thistlewood et ses complices, au mois de février 1820, avaient résolu d’assassiner les ministres, et ce fut à lui que le complot fut révélé. À l’époque de la retraite de lord Goderich, en 1827, il donna sa démission et se refusa à former un cabinet dont il eût été le chef, Charles Greville, secrétaire du Conseil Privé, dans son très intéressant Journal, dit de lord Harrowby, qu’il était cassant, raide, et avait quelque chose de provocateur ; qu’il avait des manies, qu’il manquait de décision et que c’était un alarmiste, mais qu’il était très instruit, et, en dehors des questions de parti, très favorable aux idées libérales. Quelque temps avant sa mort, Pitt avait, paraît-il, désigné Harrowby comme l’homme le plus capable d’être son successeur ; mais son humeur inégale diminuait son influence sur les gens de son parti, et il ne possédait pas un talent d’orateur suffisant pour contrebalancer ce défaut. — Le comte de Harrowby avait épousé en 1795 lady Suzan Leveson Gower, sixième fille du marquis de Stafford, une des femmes les plus remarquables de son temps, et de qui il eut quatre fils et cinq filles.