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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Mais, Monsieur le comte, s’il ne nous est pas donné de nous voir, au moins dans la partie matérielle de notre être, il nous est permis de nous connaître, et surtout de nous entendre d’une manière intime et complète, dont j’avais fait depuis longtemps la remarque avec orgueil pour moi et avec une bien grande satisfaction comme écrivain, parce que cette coïncidence a été pour moi comme une démonstration rigoureuse de la vérité de mes pensées. J’ai éprouvé l’impression de plaisir et de consolation qu’un homme égaré dans un désert éprouverait en entendant la voix d’un homme qui vient à son secours[1]

Joseph de Maistre écrivait, de son côté, à M. de Bonald, à la fin de 1817, après sa rentrée à Turin : « Ce qu’on appelle un homme parfaitement désappointé, ce fut moi, lorsque je ne vous trouvai point à Paris, au mois d’août dernier. Comme on croit toujours ce qu’on désire, je m’étais persuadé que je vous rencontrerais encore ; mais il était écrit que je n’aurais pas le plaisir de connaître personnellement l’homme du monde dont j’estime le plus la personne et les écrits[2]. »

Ainsi Joseph de Maistre et Bonald ne se sont jamais vus, ni même entrevus. Ce n’est donc pas au vicomte de Bonald que Joseph de Maistre pouvait dire ce qu’il écrit dans sa lettre d’octobre 1817 : « Je dirai toujours de vous : Virgilium vidi tantum ! Moi qui avais tant d’envie de vous voir, je n’ai pu que vous entrevoir[3]. » Donc, le vicomte auquel est adressée cette lettre ne peut être M. de Bonald ; c’est, à n’en pas douter, un autre vicomte, le vicomte de Chateaubriand, que Joseph de Maistre a vu dans le salon de la duchesse de Duras.

Le manuscrit que le comte de Maistre avait confié à madame de Duras, avec prière de le placer sous les yeux de Chateaubriand, était le manuscrit de son livre du Pape. Sa lettre à Chateaubriand est donc, à ce point de vue

  1. Voy. cette lettre de Bonald dans la Correspondance de J. de Maistre, t. VI, p. 319.
  2. Correspondance de J. de Maistre, t. VI, p. 112.
  3. Ibidem, t. VI, p. 109.