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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Paris, 6 avril 1831.
Monsieur,

Je viens de lire dans votre journal l’article obligeant que vous avez bien voulu publier sur ma brochure de la Restauration et de la Monarchie élective. J’y ai remarqué une phrase qui me force à vous importuner ; cette phrase est celle-ci : « Ce sont vos anciens amis qui ont souvent dit et toujours pensé ce que vous avez eu le malheur de signer au congrès de Vérone contre le gouvernement constitutionnel. »

Permettez-moi, Monsieur, de m’étonner qu’un journal aussi accrédité et aussi bien informé des affaires du monde que le vôtre, ait jamais pu croire à l’authenticité de la misérable pièce, que l’on a donnée comme un traité signé par moi au congrès de Vérone. On oublie que je n’assistais à ce congrès que comme ambassadeur de France à Londres, que j’avais pour collègues M. le comte de la Ferronnays, ambassadeur de France en Russie ; M. le marquis de Caraman, ambassadeur de France à Vienne ; M. le comte de Serre, ambassadeur de France à Naples ; et qu’enfin M. le duc (alors vicomte) Mathieu de Montmorency, Ministre des affaires étrangères de France, était le véritable représentant de la cour de France au congrès.

Et ce serait moi, dont les opinions libérales me rendaient si suspect au cabinet de Vienne ; moi que ce cabinet voyait d’un si mauvais œil à Vérone ; ce serait moi, simple ambassadeur, qu’on aurait choisi pour signer avec les ministres des affaires étrangères de Russie, d’Autriche et de Prusse, un traité contre les gouvernements constitutionnels lorsque le ministre des affaires étrangères de France, mon propre ministre, était là auprès de moi !

La supposition est trop absurde : il a fallu toute l’autorité dont jouit votre journal pour que j’aie daigné la relever. Je l’avais vu traîner ailleurs avec tout le mépris qu’elle méritait de ma part. Je dois ajouter, pour l’honneur de la mémoire de M. de Montmorency et la justification des ambassadeurs français, mes collègues à Vérone, que jamais le prétendu traité, publié comme pièce officielle, n’a existé, que c’est une grossière invention, aussi dénuée de vraisemblance que de vérité.

J’ose croire, Monsieur, que cette lettre suffira pour tirer d’erreur les journaux de bonne foi qui ont fait mention de cette pièce ; je renonce d’avance à convaincre ceux qu’animeraient l’esprit de parti et des inimitiés personnelles.

J’ai l’honneur, etc.

Chateaubriand.