Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t5.djvu/182

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
170
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

tout fier de cette fidélité de ma mémoire. J’ai couru, presque les yeux fermés, à la petite pierre qui recouvre votre ami ; je l’aime mieux que le grand tombeau qu’on va lui élever. Quelle charmante solitude ! quelle admirable vue ! quel bonheur de reposer là entre les fresques du Dominiquin et celles de Léonard de Vinci ! Je voudrais y être, je n’ai jamais été plus tenté. Vous a-t-on laissée entrer dans l’intérieur du couvent ? Avez-vous vu, dans un long corridor, cette tête ravissante, quoique à moitié effacée, d’une madone de Léonard de Vinci ? Avez-vous vu dans la bibliothèque le masque du Tasse, sa couronne de laurier flétrie, un miroir dont il se servait, son écritoire, sa plume et la lettre écrite de sa main, collée sur une planche qui pend au bas de son buste ? Dans cette lettre d’une petite écriture raturée, mais facile à lire, il parle d’amitié et du vent de la fortune ; celui-là n’avait guère soufflé pour lui et l’amitié lui avait souvent manqué.

« Point de pape encore, nous l’attendons d’heure en heure ; mais si le choix a été retardé, si des obstacles se sont élevés de toutes parts, ce n’est pas ma faute : il aurait fallu m’écouter un peu davantage et ne pas agir tout juste en sens contraire de ce qu’on paraissait décider. Au reste, à présent, il me semble que tout le monde veut être en paix avec moi. Le cardinal de Clermont-Tonnerre lui-même vient de m’écrire qu’il réclame mes anciennes bontés pour lui, et après tout cela il descend chez moi résolu à voter pour le pape le plus modéré.