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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

vers avec le chiffre de la fille du Nord, tout cela donnait un caractère nouveau à ces jeux où semblaient se mêler les tempêtes accoutumées de ma vie[1].

Quel prestige pour tout homme qui n’eût pas compté son monceau d’années, et qui eût demandé des illusions au monde et à l’orage ! J’ai bien de la peine à me souvenir de mon automne, quand, dans mes soirées, je vois passer devant moi ces femmes du printemps qui s’enfoncent parmi les fleurs, les concerts et les lustres de mes galeries successives : on dirait des cygnes qui nagent vers des climats radieux. À quel désennui vont-elles ? Les unes cherchent ce qu’elles ont déjà aimé, les autres ce qu’elles n’aiment pas encore. Au bout de la route, elles tomberont dans ces sépulcres, toujours ouverts ici, dans ces anciens sarcophages qui servent de bassins à des fontaines suspendues à des portiques ; elles iront augmenter tant de poussières légères et charmantes. Ces flots de beautés, de diamants, de fleurs et de plumes roulent au son de la musique de Rossini, qui se répète et s’affaiblit d’orchestre en orchestre. Cette mélodie est-elle le soupir de la brise que j’entendais dans les savanes des Florides, le gémissement que j’ai ouï dans le temple d’Érechtée à Athènes ? Est-ce la plainte lointaine des aquilons qui me berçaient sur l’Océan ? Ma sylphide serait-elle cachée sous la forme de quelques-unes de ces brillantes Italiennes ? Non : ma dryade est restée unie au saule des prairies où je cau-

  1. La fête donnée par Chateaubriand à la Villa Médicis, en l’honneur de la princesse Hélène, eut lieu le 29 avril 1829. Un journal de Rome, le Notizie del Giorno, en publia un compte rendu enthousiaste, que le Moniteur de Paris reproduisit dans son numéro du 15 mai.