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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

milieu de ses insolents amis ; voyez maintenant la royauté de Reims se retirer, à pas mesurés, au milieu de ses aumôniers et de ses gardes, marchant dans toute l’exactitude de l’étiquette, n’entendant pas un mot qui ne fût un mot de respect, et révérée même de ceux qui la détestaient. Le soldat, qui l’estimait peu, se faisait tuer pour elle ; le drapeau blanc, placé sur son cercueil avant d’être reployé pour jamais, disait au vent : Saluez-moi : j’étais à Ivry ; j’ai vu mourir Turenne ; les Anglais me connurent à Fontenoy ; j’ai fait triompher la liberté sous Washington ; j’ai délivré la Grèce et je flotte encore sur les murailles d’Alger !

Le 31, à l’aube du jour, à l’heure même où le duc d’Orléans, arrivé à Paris, se préparait à l’acceptation de la lieutenance générale, les gens du service de Saint-Cloud se présentèrent au bivouac du pont de Sèvres, annonçant qu’ils étaient congédiés, et que le roi était parti à trois heures et demie du matin. Les soldats s’émurent, puis ils se calmèrent à l’apparition du Dauphin : il s’avançait à cheval, comme pour les enlever par un de ces mots qui mènent les Français à la mort ou à la victoire ; il s’arrête au front de la ligne, balbutie quelques phrases, tourne court et rentre au château. Le courage ne lui faillit pas, mais la parole. La misérable éducation de nos princes de la branche aînée, depuis Louis XIV, les rendait incapables de supporter une contradiction, de s’exprimer comme tout le monde, et de se mêler au reste des hommes.

Cependant, les hauteurs de Sèvres et les terrasses de Bellevue se couronnaient d’hommes du peuple : on